Est-ce-que l’on naît arbitre ou on le devient ?
Il y a des personnes, au premier coup, on sent qu’ils sont faits pour cela. C’est le cas, par exemple, de Maxime Burlet : il est né pour cela ! Mais, à 90%, la tendance, en Belgique, c’est qu’on devient arbitre parce qu’on est contraint au niveau des obligations de club. Ensuite on prend goût à l’arbitrage.


(Photo Sportkipik.be)

On constate pourtant que les arbitres de première division sont relativement jeunes ?
En effet, depuis 4-5 ans, nous avons de plus en plus de jeunes arbitres qui se lancent. Auparavant, la moyenne d’âge en Belgique se situait entre 45 et 50 ans. Aujourd’hui, nous tournons à 32-33 ans et les quatre premiers arbitres de Belgique sont dans la moyenne. C’est une statistique appréciée au niveau des instances internationales.

Comment expliques-tu l’intérêt de cette nouvelle génération pour l’arbitrage ?
Dans leur carrière de joueur, ils ont peut-être estimé qu’ils avaient été mal arbitrés. Ils se disent alors : si j’arbitre, je vais peut-être pouvoir donner aux joueurs le plaisir du jeu et faire respecter la règle.

Es-tu devenu arbitre pour les mêmes raisons ?
J’ai joué au rugby jusqu’en junior mais je commençais à en avoir marre, je souhaitais faire d’autres choses. Quatre ans plus tard, je suis revenu, le rugby me manquait. Je suis revenu pour jouer mais mes qualités de joueur n’étaient plus aussi bonnes. Mon entraîneur m’a suggéré d’essayer l’arbitrage. J’ai commencé à siffler les matchs à l’entraînement et un samedi matin, absence d’arbitre, je prends le sifflet et par chance, il y a un superviseur qui me dit : « toi gamin, tu viens demain avec moi arbitrer un match de 3ème division au Luxembourg ».

Tu es aujourd’hui un entraîneur capé au niveau national et international. Te souviens-tu de ta première expérience à ce niveau ?
Oui, c’était Allemagne-Hollande en 2ème division, c’était affreux. Nous sommes arrivés à Hanovre. Comme le veut le protocole, un arbitre allemand nous a accueillis et montrés le stade. Il était juxtaposé à celui de l’équipe de football local qui jouait au même moment. Je voyais tout ce monde, la pression montait. L’équipe hollandaise n’était pas là pour me rassurer. C’était l’équipe qui avait perdu la saison précédente en match qualificatif de Coupe du Monde contre les Anglais, une équipe composée quasiment de Sud-Africains qui faisaient tous une tête de plus que moi. Je les entends encore se taper la tête avant le match, contre les murs, dans les vestiaires. Je ne pensais pas que je pourrais arbitrer ce match.

Malgré ce contexte, qu’elle fut ta prestation ?
Le superviseur français – un gars qui désignait en 1ère division française – m’a tué. « Un bon gendarme mais trop de fautes » m’a-t-il lancé après le match. J’avais trop sifflé mais c’est comme cela que l’on apprend.

Vous accordez beaucoup de respect aux anciens arbitres, n’est-ce-pas ?
C’est indispensable. Avant, nous avions des parrains mais depuis deux ans, ce qui est important, c’est le suivi. L’arbitre en 1ère division doit faire un rapport personnel nommé « self review » qu’il envoie à son coach lequel réagi en posant des questions à l’arbitre pour le faire réagir. Exemple, avec John Catteau qui se montre extrêmement critique avec lui-même dans son self-review de la Supercoupe remportée par Boitsfort il y a quelques semaines face à l’ASUB. Je n’ai pas de problème à ce qu’il s’auto-flagelle mais mon but est de l’interpeller pour le faire réfléchir : « Pourquoi crois-tu que tu n’étais pas au bon niveau ? Est-ce de ta faute ou est-ce-que les circonstances du match ne t’ont pas permis de donner le jeu que tu veux ? »

Quels sont les critères les plus importants dans l’arbitrage ?
Ce n’est pas la règle, c’est comment tu l’interprètes, comment tu la donnes aux joueurs. Tu peux prendre toutes les fautes que tu veux, c’est facile. Tu seras un très bon gendarme alors que le tout c’est d’éviter de prendre ces fautes-là en se disant : est-ce qu’elles m’intéressent dans le jeu, oui ou non ?

Un arbitre a donc plutôt tendance à se limiter ?
On tolère entre 20 et 25 fautes par match, s’il y en a plus c’est qu’il y a un souci. C’est pourquoi on donne des moyens. La voix, c’est de la prévention. Si tu n’écoutes pas, c’est le carton.


(Photo Sportkipik.be)

Du coup, si on devait opposer un bon arbitre d’un mauvais, que dirais-tu pour les différencier ?
Le mauvais, c’est celui qui prend le jeu à son compte. Il estime que c’est à lui. Or le rugby appartient aux joueurs. C’est eux qui font le jeu. C’est eux qui vont montrer à l’arbitre ce qu’ils veulent faire.

Entre le niveau national et international, les différences sont-elles majeures ?
Il faut savoir tout d’abord qu’ils ne te demandent pas la même chose. Au niveau international, on demande du spectacle.

Qui demande ce spectacle ?
Le public, les instances… Quand on discute au niveau international avec un coach, on ne discute jamais de la règle mais de son interprétation. Nos superviseurs, dans cette lignée, observent ce que nous avons entrepris pour ne pas interrompre le jeu et laisser s’installer une continuité.

Qu’observent-ils de révélateur ?
Si des joueurs font constamment des fautes, l’arbitre doit sanctionner d’un carton car cela va aider à libérer le jeu. S’il le sort trop tardivement, c’est foutu.

Ces mesures ne sont-elles pas déjà d’application en Belgique ?
Oui, sur certains matchs mais pas en 3ème division ni en régionales car les joueurs ne vont pas comprendre. Nous allons directement attirer des frustrations.

Quelle importance lui accordez-vous en 1ère et 2nde division ?
C’est la première chose que nous regardons. Quand je note un arbitre, ce ne sera jamais sur la règle mais sur l’interprétation qu’il a fait de la règle car chacun a sa personnalité. Certains vont plus privilégier l’offensif, d’autres le défensif.

L’offensif, c’est l’avantage. Quel est le défensif dans ce schéma ?
C’est l’arbitre qui va estimer que le défenseur a fait beaucoup plus d’efforts que l’attaquant pour essayer d’avoir le ballon.

Tu es un arbitre offensif. Tu vas donc plus privilégier l’attaquant que le défenseur ?
Je ne sais pas si les joueurs arrivent à saisir cette nuance mais ils savent, je crois, ce que j’aime et ce que je n’aime pas comme par exemple, le jeu au sol.

Sur quelle philosophie se retrouvent ces deux familles ?
Le message que nous faisons passer aux arbitre nationaux, c’est de la continuité dans le jeu.

Comment cela se matérialise dans le cas le plus discuté, la zone plaqueur-plaqué ?
La première chose que l’on demande à l’arbitre c’est de savoir si le ballon est libéré directement : est-ce-que c’est le plaqué ou le plaqueur qui fait la faute ?

Comment parvenir à prendre la bonne décision compte tenu du trafic dans cette zone ?
La seule solution consiste à observer s’il y a un soutien offensif ou défensif.

Mais si le ballon est jouable, il y a différentes interprétations possibles ?
On s’en fout puisque le ballon est jouable mais il faut que ce ballon sorte ! Quand tu vois la finale du Top 14, il y a de nombreux petits tas mais le ballon sort rapidement. Si le ballon s’enterre, l’arbitre doit accorder trois secondes avant de siffler puis décider de donner mêlée ou pénalité.

Arbitres, joueurs s’adaptent sans arrêt. Et, une fois n’est pas coutume, cette rentrée est marquée par de nouveaux changements de règles et notamment l’entrée en mêlée en trois temps. Que penses-tu cette nouvelle règle ?
Personnellement, je la trouve stupide car cela ne permet plus une lutte de première ligne.

Plus largement, toutes ces nouvelles règles vous compliquent-ils la tâche ou la rendent plus simple en tant qu’arbitres ?
Pour moi qui arbitre depuis des années, c’est du velours. Toutes les règles qu’ils ont modifiées – exemple, en touche et en mêlée – facilitent la gestion des matchs.

Pourtant, les décisions arbitrales continuent d’être âprement discutées aussi bien par les entraîneurs que les spectateurs ?
Il y a deux phases qui génèrent le plus de frustration : la zone plaqueur-plaqué et le ruck. Vient ensuite, de temps en temps le hors-jeu dans le jeu courant qui est une faiblesse belge en dépit des arbitres de touche qui sont là pour les assister.

Qu’est-ce-qui rend ces deux phases si compliquées ?
Je crois tout d’abord que beaucoup de joueurs et d’arbitres confondent ces deux phases. Dans une phase plaqueur-plaqué, je vois souvent des joueurs qui s’arrêtent car ils n’osent pas y aller. Je ne peux pas leur dire de jouer car j’influencerai le jeu mais je trépigne en moi-même. S’ils connaissaient la règle …


Serge Goffinet en compagnie de collègues arbitres Luc Van Wiele et John Catteau. (Photo Sportkipik.be)

Sont-ils ignorants ?
J’ai eu la chance d’arbitrer dans le passé des gens qui connaissaient la règle. Aujourd’hui, les joueurs sont cadenassés. Ils n’osent plus y aller. C’est la même attitude pour les mauls. Quand j’ai commencé, nous disions “maul, n’écroulez pas” jusqu’au jour où un entraîneur m’a dit que je n’avais pas le droit de dire cela. Je me suis défendu en disant que je souhaitais leur éviter une faute mais il m’a rétorqué « mais si moi je dis à mes joueurs d’écrouler le maul car il progresse trop vite, en leur criant si fort, ils n’oseront pas agir, persuadés d’être durement sanctionnés. »

L’arbitrage vidéo, une autre évolution du rugby moderne n’est pas encore d’actualité en Belgique mais je suis bien certain que tu as une opinion sur la question…
Je suis contre car j’accorde beaucoup d’importance à l’aspect humain. Si on accepte qu’un joueur commette des erreurs, on doit accepter qu’un arbitre commette lui aussi des erreurs. C’est malheureux pour les clubs mais c’est comme cela.

Mais l’as-tu déjà expérimenté ?
J’ai eu l’occasion un jour de collaborer avec Romain Poite (NDLR : un des meilleurs arbitres internationaux du moment) qui venait une semaine plus tôt d’annuler un essai dans un match entre Toulouse et Montferrand. Cet essai était valable mais il avait refusé la vidéo. Je lui demande comment il s’était senti et il me répond : « aucun souci mais on m’a fait des remarques ». En effet, avant le match, il avait rencontré tour à tour les présidents des deux clubs, l’un lui disant qu’il risquait de perdre 1 million d’euros en cas de défaite, l’autre qu’il empocherait deux millions sur le budget de l’année suivante en cas de victoire. Il ne parlait pas avec deux présidents de clubs mais avec Peugeot et Michelin. Il ne parlait pas rugby mais argent.

Le fait qu’ils aient élargi la règle de l’arbitrage vidéo cet été, cela n’a pas dû te faire changer d’opinion ?
Le but de l’arbitrage vidéo, pour moi, c’est simplement financier. Cela pourrait même devenir maladif car certains sponsors pourraient demander de faire durer le temps de décision afin d’intégrer une page de pub à l’antenne.

Et comment regardes-tu un match de rugby à la télévision ?
Je regarde l’arbitrage, très, très peu le jeu. Je regarde quand l’arbitre siffle, pourquoi il siffle, quelle est la raison, qu’est-ce qu’il a vu …

Rien à voir avec la réalité où l’aspect émotionnel semble particulièrement éprouvant, n’est-ce-pas ?
Quand nous arrivons dans un match avec un fort enjeu, cela te travaille parfois toute la semaine qui précède.

Comment gères-tu cette tension ?
J’ai personnellement la chance d’avoir fait des études dans le domaine psychologique. J’arrive donc souvent à calmer le joueur fautif par rapport à sa frustration et déceler les raisons de son geste. Cela ne l’excuse pas mais j’essaie de comprendre. J’arrive également à arbitrer mon match et ensuite passer à autre chose.

Faites-vous appel à des techniques telles que la sophrologie ?
Mais tu y es obligé ! Nous avons, par exemple, invité pour le prochain stage, un spécialiste mental. Nous allons également faire appel à un autre spécialiste pour travailler sur les réactions à adopter par rapport à certaines situations données.

Est-ce qu’il y a un match qui t’a marqué plus que tous les autres ?
Oui, c’était la finale Kituro-Frameries. C’est un match qui m’a énormément touché au niveau émotionnel parce que j’étais malheureux pour le joueur de Frameries qui commet la faute en fin de match (NDLR : Frameries a le match en main à deux minutes de la fin mais deux erreurs sanctionnées offrent une dernière chance au Kituro de l’emporter) et parce que j’ai vu la haine à tel point que c’est la première fois que je suis sorti d’un match protégé.

Que s’est-il passé ?
Soudain, en effet, après le match, j’ai vu surgir vers moi un supporter de Frameries. Si mes assistants ne m’avaient pas protégé, je crois que ce gars m’aurait tué !

Dernière question, moins grave mais cornélienne sans doute : comment arbitre-t-on des amis ?
Quand tu rentres sur un terrain, tu ne peux pas avoir de l’amitié. C’est d’ailleurs, parce qu’il ne l’avait pas compris que l’arbitre de la Supercoupe, il y a deux, trois ans, n’a pas su sanctionner le principal fauteur de trouble de la rencontre, un ami à lui…

Conviens-tu que ce n’est pas évident ?
Il y a quelques années, deux semaines avant une finale de coupe, un de mes meilleurs amis, Eric Boucher donne un coup de pied au cours de la première action du match. Je sors le carton rouge. Dans ma tête, je me dis qu’il va m’en vouloir mais, d’un côté, je pense que dans son esprit, il sait qu’il a commis une faute grave et qu’il n’ignorait pas les risques. Après le match, nous nous voyons au bar. Il me dit :”Serge, je suis fier car tu es un ami. Tu n’as pas fait de distinction. Je ne pensais pas que tu oserais”.