L’Interview du Jeudi, par Alain Bloëdt

Quand as-tu appris ta première sélection ?
Deux semaines avant le match contre la Moldavie, j’ai reçu un appel du sélectionneur, Guillaume Ajac.

Qu’est-ce qu’il te dit exactement ?
Il m’indique que mon nom est souvent revenu à ses oreilles grâce notamment à ses consultants dont Daniel Verdon qui entraîne au Black Star et je le serai plus tard par des cadres des Diables Noirs tels que Thomas De Molder, Maxime Jadot, Sébastien Guns. Il m’avait analysé sur quelques vidéos et aimerait me faire jouer contre la Moldavie.

Tu réalises immédiatement ce qu’il se passe ?
Je suis alors en Espagne. Je n’ai pas un très bon réseau. Dans un premier temps, je me dis que c’est une blague !


(Photo Sportkipik.be)

Elle aurait pu venir de qui ?
Manu Descamps ou d’autres potes. Je fais toujours des blagues à tout le monde !

Et tu ne reconnais pas sa voix ?
Non, je n’avais jamais parlé à Guillaume Ajac sinon entendu en vidéo mais il m’explique que c’est tout sauf une blague. Il attendait des nouvelles de Julien Massimi concernant une formation professionnelle et recherchait depuis le match contre les Pays-Bas, en cas de forfait de sa part, un remplaçant.

Et que lui réponds-tu ?
Que c’est un honneur de répondre à une telle invitation et que tout ce que j’attends, c’est de renvoyer la confiance qu’il place en moi.

Cette sélection surprise remet-elle en cause l’arrêt annoncé de ta carrière en fin de saison ?
Je m’expatrie en juillet en Espagne pour des raisons professionnelles et je me dois pour la famille d’être à leurs côtés, le soir.

Néanmoins, cela doit gamberger ?
Je la mesure aussi la sélection. Ma crainte au début était le manque de crédibilité par rapport à mon niveau. Suis-je pris pour mon âge ou parce qu’ils ont besoin de moi ?

Et désormais quel est ton sentiment ?
Des gars comme Mathieu Verschelden, Bertrand Billi m’ont rassuré. Ils voyaient bien que je n’étais pas comme d’habitude. C’était mes idoles. J’allais les voir depuis huit ans. Je les côtoyais désormais sur un terrain et je me demandais : est-ce-que j’ai le niveau ou suis-je, là, pour mes 43 ans ?

Quels ont été leurs mots ?
Ils m’ont simplement dit qu’on n’était pas en équipe nationale pour faire des cadeaux. J’étais pour eux légitime. Cela m’a enlevé un poids.

Après coup, qu’as-tu amené à cette équipe ?
Je n’ai pas triché, j’ai tout fait à fond et grâce à cela, je crois, qu’ils ont compris que s’ils avaient besoin de moi, je n’allais pas m’échapper.

Ton âge a-t-il favorisé ton intégration dans le groupe ?
Je leur ai peut-être apporté le rôle d’un grand frère, quelqu’un sur qui se reposer car c’était un match casse-pipe contre la Moldavie.

As-tu trouvé le groupe stressé avant ce match couperet ?
Stressé ? Non mais je sentais que cela allait être un gros match. Il y avait eu le match aller. J’étais allé voir leur profil : les Moldaves étaient à peu près tous professionnels, certains jouaient même en première ligue anglaise !

Si la Belgique est capable de l’emporter contre de telles équipes, c’est qu’elle est très forte actuellement ?
Je les adorais tous, déjà, avant car t’es patriote, tu vas au Heysel, tu les supportes bien qu’en club, tu joues contre eux. Après ce match, je les admire encore plus !

Pourquoi ?
Quand je suis rentré sur le terrain et que j’ai eu le premier impact et que j’ai réalisé que cela fait 68 minutes déjà qu’ils se prenaient des murs pareils dans les dents, je me suis dit « Purée vieux, c’est quand même un autre niveau ! »

On ressent beaucoup de respect dans tes propos ?
Aller battre les Moldaves, chez eux, alors qu’on n’a pas été mis dans de la ouate, crois-moi que c’était dur. En Pologne, c’était plus accueillant mais cela restait des armoires à glace. L’équipe belge est superbe au niveau du cœur. Elle ne triche pas. Ils se donnent à fond.

Surtout que le match contre la Moldavie était loin d’être gagné ?
On a pris dans la gueule pendant septante minutes et on a occupé leur terrain 10-12 minutes, assez pour mettre un petit essai casquette.

Le cœur, c’est la force de cette équipe ?
J’ajouterai également l’intelligence car on a fait des progrès dans ce domaine en respectant, par exemple, à la lettre les instructions du staff en défense. Ils avaient analysé le match aller et on a donc fait une garde à quatre de chaque côté des mauls car les Moldaves avaient une attaque où quatre joueurs du pack te rentrent dans le buffet quand le 9 lève le ballon à droite. Ils sont dans l’avancée, le 9 relève le ballon à gauche et il y a les quatre autres avants qui arrivent de l’autre côté et ils sont capables d’avancer comme cela sur 40 ou 50 mètres.

Cela doit être plaisant d’être dans un staff organisé comme celui-là ?
Effectivement, je me suis senti à l’aise dans une équipe organisée, structurée et cela, au final, m’a rassuré. Dans les clubs, on essaye mais l’encadrement reste du bénévolat ou du très peu rémunéré. Ici tout est passé au peigne fin.


(Photo Sportkipik.be)

Quelle impression t’a fait un des nouveaux membres du staff des Diables noirs : Philippe Ebel ?
Tu sens le vécu de joueur. Il ne ment pas, te dit les choses et cherche à trouver des solutions. Il rigole, te met à l’aise mais au moment d’aller au charbon, il te met devant tes responsabilités, dans les yeux. « Vous n’avez pas le droit de tricher, de mentir, d’être à 70%, vous représentez votre pays ». C’est important car tu n’es pas là pour le paraître ! Tu as un devoir à accomplir que tu joues 1mn, 5 mn ou tout le match !

La Belgique revient immédiatement, dés la saison prochaine dans le Tournoi des VI Nations B. Hormis l’expérience de cette compétition, le groupe te donne-t-il l’impression d’arriver avec plus de certitudes ?
En terme de confiance, contre la Moldavie, c’était un combat d’hommes et ils ont marqué des choses entre eux. Contre les Polonais, ils sont arrivés avec un statut et ils ont gagné en champions d’Europe.

Ils ont donc gagné en confiance ?
Oui et non car un certain nombre de joueurs sont inquiets entre le niveau de la division 1 belge et celui dans lequel évoluent ceux inscrits dans le championnat de France. Personnellement, et sans manquer de respect à l’égard de mes adversaires, mon dernier match avant de partir c’était contre La Hulpe. L’écart était beaucoup trop grand avant d’affronter les Moldaves.

Que faire pour combler cette différence de niveau ?
Il serait temps de prévoir un staff qui entraînerait les joueurs de Division 1 le lundi ou le mercredi.

C’est une demande formulée par les joueurs auprès du staff ?
Du moins, c’est ce qui circule à l’intérieur du groupe.

Mais cette réflexion vient des joueurs expatriés ou ceux de division 1 belge ?
Plutôt les premiers mais les gars de la D1 belge sont conscients du décalage. Ils demandent à être au niveau pour pouvoir continuer à faire leur sport en Belgique. Quand on fait appel à eux en équipe nationale, ils veulent être prêts.

Revenons à ta carrière. Pourquoi avoir débuter le rugby aussi tard, à l’âge de 34 ans ?
C’est un fait de vie. J’ai perdu mon beau-frère qui était rugbyman, dans un accident de voiture. Même s’il m’avait sollicité avant, j’étais dans le football et ne connaissant pas le sport, je n’avais jamais mordu.

C’est donc pour lui rendre hommage que tu joues aujourd’hui au rugby ?
A son enterrement, je suis très surpris. Bien sûr, je savais que mon beau-frère était une personne extraordinaire mais il y a du monde venu de partout et des centaines de personnes avec des maillots de rugby. Ce jour-là, je comprends qu’il y a une réelle appartenance familiale à travers le sport et qu’il doit y avoir un sport super derrière.

Tu ne l’avais jamais ressenti au football ?
Pas à ce point-là. Ici cela semblait plus familial.

Est-ce-que tu as une explication sur cette différence ?
Il y a une entraide extraordinaire au rugby et des valeurs qu’il n’y a pas au football. Tu ne peux pas tricher et je suis le premier à pouvoir en parler. J’étais centre-avant et si je n’avais rien foutu pendant 90 mn mais que je mettais le goal à la dernière minute, j’étais le héros du match. Au rugby, si tu ne travailles pas, cela se remarque au bout de cinq mn de jeu.

J’en déduis que ta femme a du sacrément te voir évoluer physiquement entre l’avant-centre d’avant et le pilier d’aujourd’hui ?
J’ai toujours été robuste et j’étais forcément plus mince lorsque je jouais au football mais j’ai toujours eu un poids entre 85 et 90 Kg. J’étais même monté à 106 Kg quand j’avais arrêté le foot entre 32 et 34 ans.

Tu es venu de toi-même à l’entraînement ?
Le jour de l’enterrement, Fred Cocq, un ami de mon beau-frère et ancien entraîneur de l’équipe nationale, me demande d’essayer de garder la famille dans le rugby. Quelques mois plus tard, le 27 juin 2007, je décide donc d’aller à la Journée du club de Frameries où je joue un match contre les parents et les entraîneurs. Cette après-midi me plaît et en rentrant, j’annonce à ma femme, Sylvie, que pour combler mon surpoids, je vais reprendre le sport et m’amuser en équipe 2.

Et tu as rapidement été piqué ?
J’ai commencé les entraînements en juillet et j’ai mordu immédiatement. En plus, je voyais que je perdais du poids ! On m’a fait jouer en mêlée et j’ai adoré ce contact en première ligne, aidé de Rosario Graci qui m’a appris le job ! J’ai découvert aussi que les valeurs du rugby véhiculées sur le terrain, dans le match, dans les vestiaires, dans l’amusement d’après-match, je les avais déjà en moi et je l’ignorais. Cela je ne l’oublierai pas.


Guillaume Brébant et Colo
sous le maillot de Boitsfort. (Photo Alain Dams)

D’après toi, est-ce-propre à ce club de Frameries, qui rime avec famille, ou est-ce commun à tout le rugby belge ?
C’est propre au sport même si le Borinage est très chaleureux. C’est une région difficile économiquement et les gens sont fort proches les uns des autres. Mais, pour avoir joué à Boitsfort, c’est un état d’esprit qui se retrouve dans tous les clubs. Mes amis français le confirment.

Quelle expérience retiens-tu de ton passage au BRC ?
J’avais 39-40 ans et c’était pour moi une possibilité de jouer la North Sea Cup, de jauger mon niveau. Francis De Molder (NDLR : alors entraîneur de Boitsfort) m’a vite mis en confiance en m’indiquant que s’il avait fait appel à moi, ce n’était pas pour me mettre sur le banc mais parce qu’il avait besoin de moi. J’ai relevé le défi.

On le rappelle, ayant 35 ans passé, selon le règlement, tu peux jouer n’importe où. Quelle a été la réaction de Frameries ?
Ça a grincé des dents. J’avais pris de la place dans le club. Je m’étais investi non seulement sur le terrain mais dans le club. Cela n’a pas été perçu come une trahison mais beaucoup n’ont pas apprécié.

Tu l’as compris ?
Oui mais j’avais pris ma décision et je l’ai assumée. Et, je l’ai fait dans les règles de l’art, en continuant de jouer le championnat avec Frameries afin d’aider mon club qui était en difficulté.

Cela a été dur à vivre ?
Pour moi, ce n’était pas une trahison, mais du surplus pour apprendre à jouer au rugby et rencontrer beaucoup de gars qui étaient à Boitsfort et qui faisaient partie de l’équipe nationale tels que Bastian Vermeylen, Guillaume Brébant, Sébastien Guns, Pierre Hendrickx, etc…, des joueurs qui volaient sur le terrain quand je les ai rencontrés. Pouvoir jouer sur le terrain avec eux et au niveau de Boitsfort, c’était plaisant. L’année des trois finales, j’ai beaucoup appris. Cela te donne une expérience extraordinaire.

Pas de regret donc !
Si j’étais resté à Frameries, j’en suis certain, je n’aurais jamais eu la cap. J’en étais déjà convaincu quand Guillaume Brébant est parti à Boitsfort. J’étais son premier supporter même si cela m’ennuyait car nous nous étions retrouvés déforcés. Mais il a franchi un cap quand il est parti à Boitsfort c’est une certitude. Bien sûr, je ne dis pas à tous nos jeunes de partir mais, à un moment donné, si c’est pour bonifier, pourquoi pas ! Les gens reviennent tôt ou tard. Maxime Jadot est parti. Il reviendra peut-être terminer sa carrière à Frameries. Un pilier de 36-37 ans dans 7-8 ans, je le prends mais il aura fallu accepter qu’il joue sa carte.

Question délicate pour terminer mais que beaucoup se sont posés en apprenant ta sélection. N’y-a-t-il pas de piliers plus jeunes en Belgique pour postuler chez les Diables Noirs ?
Ma sélection, je la dois à un concours de circonstances avec l’absence de Julien Massimi mais je crois que les piliers en France étaient trop jeunes, aux yeux du sélectionneur, pour affronter les expérimentés moldaves. Moi, je n’ai jamais eu peur de personne mais je t’avoue que quand tu les vois, c’est impressionnant ! Cela peut faire déjouer des jeunes mais il y en a beaucoup qui poussent, c’est certain, comme Sotteau à Oloron Sainte-Marie.