L’Interview du Jeudi, par Alain Bloëdt

A quel moment as-tu réalisé que tu étais plus douée que d’autres ?
C’est difficile comme question. Peut-être quand j’ai vu qu’il n’y avait pas de différence de niveau alors que je jouais avec les garçons.

Un championnat se met en place pour les jeunes féminines. Ce n’était pas ton cas à l’époque, comment as-tu fait ?
Effectivement à 15 ans, cela devenait compliqué de jouer avec les garçons. J’ai encore fait quelques matchs puis, je suis passée avec l’équipe fille de mon club, Mons.

La transition avec des adultes féminines a-t-elle été simple ?
La première année a été compliquée. Le niveau était fort différent.

Qu’entends-tu par là ?
J’ai dû m’adapter. Avec les garçons, le jeu était plus instinctif, plus fluide, on se posait beaucoup moins de questions. Avec les filles, il fallait beaucoup plus encadrer.

Les filles sont plus cérébrales ?
Oui, tout est prévu, on sait ce qu’on va faire à chaque instant. Désormais, je suis habituée, mais du coup, c’est beaucoup plus lent, j’ai eu du mal à m’adapter à ce jeu-là.


(Photo Sportkipik.be)

C’est toujours le cas à Lille Villeneuve d’Asq ?
Non, bien sûr que non. Maintenant ça va mais la transition a été difficile. Je n’aimais pas.

Qu’est-ce-qui différencie selon toi la 1ère division féminine française du Top 14 masculin ?
Clairement, au-delà du physique, c’est la vitesse de jeu. Comme beaucoup l’ont dit notamment lors de la dernière Coupe du monde féminine, on a l’impression au rugby féminin de retrouver l’ancien rugby.

Ce commentaire sent bon la nostalgie …
Disons que le jeu pratiqué chez les femmes est plus simple, plus lent et du coup plus compréhensible pour des personnes qui ne sont pas familier au rugby.

L’ancien rugby, c’est un jeu aussi très rugueux avec plus de bagarres, c’est le cas pour vous aussi ?
Non, mais on aime aussi se rentrer dedans et on va chercher l’affrontement.

Cet ancien rugby se caractérisait par plus de contournement, moins de recherche du défi physique…
Effectivement, mais je suis sans doute influencée par le style de jeu de mon club, actuellement.

Combien de fois t’entraînes-tu avec ton club chaque semaine ?
J’ai trois entraînements.

Comment se décomposent-ils ?
Le lundi, en fonction du prochain match, nous avons une analyse de l’adversaire, puis une mise en pratique. Mercredi, nous faisons du global et vendredi, une mise en place.

Vous faites beaucoup de collectif ?
Oui, les entraînements sont très dirigés. On apprend qu’à tel endroit du terrain, on doit adopter telle attitude, etc… On sait ce que l’on doit faire et il faut que ce soit connu de toutes.

Ce jeu dirigé n’écarte-t-il pas ce jeu intuitif qui te plaisait tant chez les garçons plus jeune ?
On sait aujourd’hui que le rugby est plus dirigé qu’avant. C’est la même chose dans le rugby masculin !

Et quel rugby féminin prônerait Magaux Lalli si elle était entraîneur ?
(Elle rigole). Au niveau belge, je ne me posais pas de questions, je faisais ce que je sentais bon. Aujourd’hui, je ne retrouve plus ce plaisir. A mon niveau, désormais, tout est contrôlé, rien n’est instinctif. Mais c’est peut-être ce qu’il faut…


En 2007-2008 avec l’Entente Mons/Frameries. (Photo Sportkipik.be)

Et quand tu reviens jouer avec les Lionnes, compte tenu du niveau inférieur à l’élite française, retrouves-tu ce plaisir ?
Je me régale plus, mais c’est différent.

Au niveau national, où prends-tu le plus de plaisir : à 7 ou à 15 ?
Au seven.

C’est réaliste d’imaginer l’équipe féminine belge à Tokyo en 2020 ?
Si on n’y croit pas, on n’y arrivera pas.

C’est une chose d’y croire mais ce n’est pas suffisant.
Les Jeux Olympiques, c’est le rêve de tout joueur et joueuse mais on est loin du haut niveau, il va falloir travailler.

Quels sont les freins actuels ?
Les faiblesses du rugby belge : le budget et la volonté d’aider le rugby belge.

Professionnaliser un groupe de joueuses, est-ce la solution ?
Oui, idéalement. Il faut surtout travailler avec la nouvelle génération car ce n’est pas le groupe d’aujourd’hui mais celui de demain qui ira à Tokyo, ce qui implique des politiques de développement.

Tu auras 32 ans en 2020. Seras-tu toujours candidate ?
Les JO seront certainement mon dernier objectif mais, si je n’y suis pas, ce n’est pas grave.

J’ai lu que tu es déjà dans le staff de l’équipe nationale ?
Officiellement non, j’essaie d’aider au développement du rugby belge, comme beaucoup d’autres, en m’occupant de la préparation physique de l’équipe de rugby à 7 féminine.

Es-tu rémunérée pour cette activité ?
Non, je ne reçois rien et je n’ai pas de contrat mais je sais que la préparation physique, c’est important si on veut aller plus loin.

Le staff n’a pas recruté de préparateur physique ?
Il n’y a personne à 15 non plus.

Avec ton expérience, comment vois-tu cette situation évoluer ?
Il faut savoir que les équipes nationales à 7, aussi bien masculines que féminines sont rattachées à la Ligue francophone car financièrement, la Fédération ne peut pas assurer.

La ligue vous aide mieux ?
Depuis peu, nous sommes remboursées, ce qui montre que la situation évolue.

Et les joueurs flamandes peuvent en profiter ?
Non, elles ne sont pas remboursées pour leur frais de déplacements car cela relève de l’ADEPS mais tout le monde s’entend bien.


Le quatuor belge de Lille. (Photo Alain Dams)

Et quand tu joues en France, es-tu défrayée ?
Nous n’avons pas de contrat mais le club nous rembourse les frais de déplacement.

Est-ce-que c’est la même politique dans les autres clubs de l’élite ?
Les filles de l’équipe nationale française de rugby à 7 sont professionnelles. Ailleurs, au niveau des clubs, je l’ignore, j’ai simplement entendu que peut-être certaines filles recevaient des avantages.

Les Belges sont en force avec quatre joueuses à Lilles. Est-ce-que les gens du Nord sont encore intrigués de voir évoluer des joueuses belges ?
Non, plus du tout.

Jouez-vous souvent toutes ensemble ?
On ne s’est pas encore retrouvées toutes les quatre ensemble sur le terrain mais on a souvent été réunies sur la feuille de match.

C’est ta seconde saison au plus haut niveau. Dans quels domaines as-tu progressé ?
Au niveau de la compréhension du jeu et de la tactique. En Belgique, c’était le feeling. Je comprends plus le jeu désormais ; je n’ai pas l’impression, en revanche, d’avoir progressé au niveau technique.

Quelle est ton ambition pour la fin de saison ?
Le titre de championne de France.

Bonne chance !