(Photo Odile Prevot Mussat)

Ce court séjour en Belgique en appellera d’autres ou s’agissait-il d’une simple visite de courtoisie ?
Je reviendrai. Un de mes projets consiste à pérenniser mon association, la Serge Betsen Academy à travers ses actions au Cameroun (NDLR : S. Betsen a eu des entretiens à la Commission européenne). L’autre, en tant qu’ambassadeur de mon sport, c’est d’aider à faire grandir le rugby belge et à développer des compétences techniques tant au niveau des joueurs que des entraîneurs en Europe.

À quoi ressemble le rugby au Cameroun ?
Ça ressemble à la Belgique mais sur de la terre rouge et dur, avec énormément de gamins qui ont envie de grandir dans ce sport. A chaque fois que j’y retourne, cela me donne la chair de poule car malgré les conditions de vie et de jeu, je vois de l’envie, de la volonté et une ambiance positive.


Combien d’équipes composent le championnat ?
Il faut savoir que le championnat est présentement suspendu.

Quels buts poursuivez-vous avec l’académie Serge Betsen ?
Ma volonté n’est pas de faire de ces jeunes des champions de rugby mais de les aider à devenir des adultes intègres et responsables. Le rugby par ses valeurs, peut aider au développement de ces populations.

Vous aurez 40 ans le 25 mars. Allez-vous regarder dans le rétroviseur ou devant vous ?
Devant, comme je l’ai toujours fait. Il n’y a que comme ça qu’on a l’inspiration, qu’on positive et qu’on avance.

Le jeu vous manque ?
Non, j’ai été rassasié du rugby de haut niveau. J’ai arrêté il y a seulement deux ans et je continue à jouer de temps à autre avec les Legends.

Vous avez souvent été capitaine dans votre carrière. Quel type de capitaine étiez-vous ?
Le capitanat, n’a pas été quelque chose de programmé chez moi. On m’a mis capitaine parce que j’étais un joueur exemplaire, qui jouait avec énormément d’engagement. J’étais un modèle pour l’entraîneur mais au début je n’ai pas été préparé à cela.

Vous avez vécu une mauvaise expérience ?
Quand on te met capitaine à 19, 20 ou 21 ans avec une équipe de seniors, cela peut perturber car on pense qu’on est le meilleur et qu’on sait tout.


(Photo Richard Lane)

Que se passe-t-il alors ?
On gère toutes les problématiques sur le terrain avant de jouer son propre rugby. Je hurlais énormément sur tout le monde car je voulais que ce soit parfait. Mes coéquipiers me l’ont reproché.

Que conseillerez-vous aujourd’hui à un joueur dans la même situation ?
Dans l’action, il faut apaiser, avoir de la sérénité et de la confiance pour continuer à jouer malgré des moments difficiles. Je l’ai appris par la suite, quand j’ai lâché le capitanat.

Vous avez eu également le brassard au Wasp (NDLR : club de rugby anglais de Premiership basé à l’ouest de Londres) dans un contexte totalement différent ?
Une fois encore, je n’avais pas prévu d’être capitaine mais ce fut un honneur de représenter le club et une grosse responsabilité. Je l’ai pris avec la mesure et le recul possibles pour être serein et amener cette sérénité au reste du groupe. C’était une belle expérience.

Thierry Dussautoir, lui-même capitaine a forgé sa réputation sur ses qualités en défense. Est-il votre digne successeur ?
Oui car c’est un capitaine de devoir, d’exemplarité plutôt que de parole. Il a la capacité de transmettre de la confiance et de la sérénité à l’image de la dernière Coupe du monde.

On sent que vous avez beaucoup de respect pour lui…
Il représente pour moi la quintessence de ce que peut être un 3ème ligne. On parle beaucoup de la statue de Wilkinson à Toulon. Je trouve que Thierry en mériterait une aussi, pour toutes ses qualités de joueur et de leader, capable de rassembler et d’amener l’équipe de France vice-championne du monde.

Quels souvenirs gardez-vous de son arrivée à Biarritz ?
Je l’avais déjà affronté quand il jouait pour Bègles-Bordeaux. Quand il est arrivé à Biarritz, il était blessé mais il a eu la patience de bien se soigner. Thierry a eu un parcours similaire au mien en équipe de France : il a été appelé une première fois mais cela ne s’est pas bien passé. Une seconde chance lui a été offerte à l’occasion de la Coupe du monde en 2007. Il a bénéficié du forfait d’Elvis Vermeulen, blessé, et, ayant accumulé comme moi beaucoup de frustration, il a su la matérialiser pour ce quart de finale à Cardiff (NDLR : au cours de ce match où la France bat la Nouvelle-Zélande, T. Dussautoir réussit 29 plaquages, 38 si l’on comptabilise les assistances au plaquage et marque un essai).

Qu’est-ce-qui fait que vous êtes l’un et l’autre de bien meilleurs défenseurs que les autres ?
Je rectifie, il y a une différence entre défenseur et gros plaqueur. Je suis à la chasse tandis que Thierry Dussautoir est dominateur : quand il est devant toi, il te détruit.

En dépit des styles, vous êtes l’un comme l’autre intraitable. Que faut-il pour être un bon défenseur ?
C’est un tout, physique-technique-mental mais bien entendu des aptitudes naturelles peuvent aider à l’exemple de Thierry, qui était un grand judoka (NDLR : T. Dussautoir faisait du judo jusqu’à l’âge de 16 ans). Il y a aussi la volonté de dominer l’adversaire, quel que soit le gabarit.


(Photo Bernard Photo - Biarritz)

Quels défauts constatez-vous régulièrement chez les jeunes auprès de qui vous intervenez ?
On n’apprend pas aux joueurs à plaquer ou très peu. Le contenu n’est pas assez riche dans les entraînements donnés aux gamins. On dit soit : « il l’a, il est généreux, courageux », soit « il l’a pas ! ». Pourtant, il y a des techniques, des situations, des gestes comme la pression des bras autour des jambes, la position des jambes pour continuer à pousser au contact.

Vous entraînez une équipe professionnelle, les London Scottish (NDLR : Division 2 anglais) dans le secteur défensif. Que leur enseignez-vous ?
Je parle beaucoup d’urgence car c’est la situation, pendant 80 mn, sur un terrain de rugby. Et donc, pour ne pas être pris par défaut, dans l’urgence, il faut anticiper. C’est comme conduire une voiture, il ne faut pas uniquement fixer le véhicule devant mais regarder au-delà.

Vous parlez là de professionnels …
Je trouve que dans le jeu aujourd’hui, on n’anticipe pas assez que ce soit en attaque ou en défense. Pourtant, cela permettrait d’être en temps et en heure sur le contact par rapport à la trajectoire du ballon et, sur l’attaquant, si on se place dans une situation de défense.

Quels moyens utilisez-vous ?
L’analyse vidéo puis des exercices en situation de base car sur dix plaquages, un joueur lambda arrivera neuf fois au contact arrêté. Il attend que l’adversaire arrive sur lui alors que c’est l’inverse qui doit se produire. Il faut réduire ce temps pour le renverser. Il faut avancer et l’impressionner. C’est de la biomécanique.

A travers votre parcours, avez-vous constaté de fortes différences entre la France et l’Angleterre au niveau de la défense ?
Oui, les Anglo-saxons ont su décortiquer cette phase pour mieux l’enseigner. J’ai par ailleurs eu la chance d’être entraîné aux Wasp par Shaun Edwards (NDLR : ancien international anglais de rugby à 13) qui a un panel extraordinaire de montée défensive. Regardez les défenses inversées collectives des Gallois, tout cela est structuré.

Vous le disiez plus tôt vous avez eu une très longue carrière en connaissant des succès comme des échecs à l’instar de vos débuts en équipe de France. . Comment êtes-vous parvenu à rebondir ?
J’ai toujours mis en place une forme de pragmatisme dans ma préparation pour, à la fin, ne pas être frustré ou déçu et quand bien même je l’étais, sortir des points de satisfaction sur ma copie rendue.


(Photo Bernard Photo - Biarritz)

Qu’est-ce-que du pragmatisme dans une préparation ?
Savoir mon rôle en attaque : pourquoi je le fais ? Qu’est-ce-que je dois faire ? En défense : quel est mon rôle ? Quels sont les principes défensifs que l’on me propose de faire ? Puis, derrière, une fois que tout ceci est clair, mettre mon énergie, mon caractère, tout ce qui fait partie de mon patrimoine pour qu’il y ait un engagement total.

Quels conseils donneriez-vous à des joueuses, joueurs qui débutent mal un match ?
Rester centré et concentré sur son match. Ne pas s’éparpiller. Trouver le positif pour continuer à avancer

Est-ce utile de se faire aider ?
Il y a des techniques de relaxation mentale pour savoir évacuer ses aspects négatifs et passer à l’action d’après. Il faut se dire que l’on ne peut plus revenir sur une action passée, c’est trop tard car le jeu c’est 80 minutes intenses et on n’a pas le temps de tergiverser tandis qu’après, on peut le faire pour essayer de comprendre.

En parlant de mauvais passages, comment vivez-vous la situation actuelle du Biarritz Olympique ?
Difficilement et avec énormément de frustration. On a mal au ventre.

Avez-vous envie de remonter sur le terrain pour les aider ?
Non, j’ai assez donné mais j’essaie d’insuffler de l’énergie positive quand j’appelle les uns et les autres. Ensuite, ce sont les aléas du sport de haut niveau. Il faut pouvoir en tirer des leçons et travailler pour que le club remonte le plus rapidement possible.

Selon vous, la remontée de Biarritz devrait-elle se concevoir en fusionnant avec l’Aviron Bayonnais ?
C’est un débat qui dure depuis un moment. Je me suis toujours dit, je ne suis pas du Pays Basque, je n’ai pas forcément à me positionner. Je pense toutefois qu’il y a un potentiel humain et géographique à créer une identité basque au niveau du rugby au Pays basque. Cela appartient aux décideurs et aux institutions de trouver des solutions. Dans mes fantasmes, je me suis toujours dit que si je devais entraîner une équipe, ce sera la première équipe du Pays basque.