L’Interview du Jeudi, par Alain Bloëdt

La dernière victoire des Diables noirs en Ukraine remonte au 24 novembre 2007. Comment expliques-tu que ce soit si difficile de gagner là-bas ?
Je ne pense pas que j’y étais, il faudrait jeter un œil dans les annales du rugby belge … L’équipe d’Ukraine est une équipe à respecter. Bien souvent à domicile, elle tient à cœur de l’emporter et joue sans relâche jusqu’à la dernière minute. Les déplacements n’y sont jamais aisés. Les conditions (hôtels, vols, terrains à disposition) n’ont jamais été très favorables. Ensuite, l’arbitrage n’est pas toujours au niveau des équipes qui jouent à ce niveau. Enfin, l’Ukraine a, avant tout, montré qu’elle en voulait plus que nous. Ce match est un match à retenir dans l’optique de deux déplacements qui nous restent en mars en Moldavie et en Pologne.

Cette défaite en Ukraine reste néanmoins la première en sept matchs depuis vos débuts dans ce championnat d’Europe des Nations, division 1B. Comment expliques-tu ces résultats positifs ? A votre expérience ? A l’apport de nouveaux joueurs ou à l’opposition qui est bien plus faible du VI Nation B ?
Tu réponds à la question. En effet, l’équipe est un mélange de nouveaux joueurs et d’anciens. Les nouveaux apportent de la fraîcheur et de l’envie au groupe, les plus anciens leurs expériences de ces matchs. Mais tu as raison, je trouve que l’opposition est plus faible que quand on y était il y a trois ans. Mais ne serait-ce pas biaisé par mon expérience en club et un championnat de Fédérale 1 dont le niveau ne cesse d’augmenter ?

Quelle est l’équipe que vous redoutez le plus pour la suite de la compétition ? La Moldavie ou l’Ukraine ?
La première équipe à redouter est celle des Pays-Bas. En effet, on a un match en février, le seul de notre campagne 2015-2016 à domicile, à jouer contre les Pays-Bas. Je pense qu’ils se souviennent de nos précédentes rencontres et notamment celle à Amsterdam de la saison dernière où ils ont bien failli nous surprendre. Et après il faudra se concentrer sur la Moldavie, à l’extérieur, en mars.

Nous entrons dans le dernier carré de la Coupe du monde. Regarde-t-on différemment cet événement quand on est international ?
Personnellement, je la regarde en voulant admirer du beau rugby comme tout spectateur. De temps à autre, j’essaie d’analyser le jeu d’une équipe ou d’une autre et observer l’évolution de notre jeu, mais je n’ai aucune prétention de m’y connaître plus qu’un autre. Je contemple aussi cette compétition en me disant que le plus grand rêve d’un international est d’y participer. Elle me stimule encore plus à vouloir « ré-accéder » au VI Nations B afin de côtoyer des équipes qui ont accédé au plus haut niveau mondial.

A son entrée en fonction, il y a un an, le nouveau sélectionneur des Diables noirs pointait du doigt la prochaine Coupe du monde au Japon. Franchement, est-ce-réaliste ?
Etant donné que la Géorgie termine 3ième de sa poule, elle serait qualifiée d’office pour le Japon, sous réserve du règlement de qualification pour le Japon. Cela ouvrirait une porte supplémentaire à la qualification. Pour rappel, lors de notre précédente campagne, les 3 premières places du VI nations B étaient qualificatives pour la Coupe du Monde, les 2 premières directement et la troisième avec barrages. La Géorgie, se qualifiant directement, laisserait donc une « place Europe supplémentaire » et, dans l’optique du maintien dans le VI Nations B, pourquoi ne pas essayer de viser la quatrième place du groupe ? Informations à vérifier ...


(Photo eric-photos.com)

A quel niveau français compares-tu ce championnat d’Europe des Nations, division 1B ? Fédérale 2, Fédérale 1 ou Pro D2 ?
Bas – milieu de tableau de Fédérale 1.

Dimanche 1er novembre, Lille affrontera Saint Médard. Même si on reste dans le Sud-Ouest, on est loin de l’attractif Lille - Bayonne qui aurait certainement mobilisé la communauté rugby du nord de France. Avais-tu coché, cet été, cette date dans le calendrier après votre accession en Pro D2 ?
J’avais coché dans mon calendrier. Il n’y avait pas que celui-là, malheureusement tout ne s’est pas déroulé comme prévu.

La montée avortée de Lille, tel un long feuilleton, a animé l’été du rugby. Pourrais-tu nous expliquer ce qu’il s’est passé ?
Est-ce que je détiens toute la vérité ? Est-ce-que nous joueurs, nous avons tout su. Sur le plan sportif, nous avons eu accès à la division 2. Nous avons eu ensuite quelques examens de passage d’un point de vue administratif. Sur les premiers, avec la Ligue et la Fédération, le club n’est pas arrivé suffisamment préparé et s’est fait recalé. Nous avons fait appel auprès d’instances sportives et, in fine, avons plaidé notre cause devant un tribunal administratif.

Toi et tes coéquipiers, y avez toujours cru à cette montée ?
On nous disait que tout était bon. Mais, à la fin, devant le Tribunal administratif, qui est pour le moins impartial, on a compris que les conditions ne seraient pas réunies pour cette saison.

Te sens-tu volé ?
Oui d’un point de vue sportif, je me sens volé. La décision du Tribunal administratif en revanche, il faut la respecter et ne pas crier au complot. Nous n’avons pas été spécialement aidés par la FFR. Elle a été exigeante avec nous mais le club aurait dû être plus exigeant avec lui-même.

Il y a avait pendant longtemps un lobby agenais dans le rugby français, et tout spécialement au sein de la FFR. Aujourd’hui, on parle d’un lobby dacquois or, Dax, du fait de votre relégation est maintenu en Pro D2 alors qu’il était censé descendre. Qu’en penses-tu ?
Ce sont des discours qu’on entend. Je ne veux pas polémiquer et le club, non plus. Il faut sortir de ce discours car cela ne nous mène à rien.

Après l’annonce, en raison des contrats promis, il y a eu un bras de fer entre les dirigeants et les joueurs. Quelle a été la réaction des joueurs ?
Nous sommes restés solidaires, aidés en cela par Gaël Arandiga et Thomas Choveau, qui appartiennent à Provale (NDLR : Syndicat national des joueurs de rugby)

Quels messages vous ont-ils envoyé ?
Avec nos nouveaux contrats, nous détenions les rênes et pouvions avoir des exigences.

Lesquelles avez-vous formulé ?
Un changement de hiérarchie au sein du club pour ne pas dire un changement de président. La possibilité d’ouvrir le capital pour laisser entrer de nouveaux partenaires. La garantie de nouveaux contrats équitables à valider auprès de la FFR.

Combien de joueurs prévus pour affronter la Pro D2 ont quitté Lilles suite à la relégation en Fédérale 1 ?
Entre huit et dix, je dirais.


(Photo D.R.)

En ce qui te concerne, qu’est-ce-que cela a changé pour toi ?
J’avais demandé au club de compenser mon manque à gagner étant donné que je suis déjà professionnel en médecine. En retournant en Fédérale 1, je suis retourné sous l’ancien régime.

La rentrée universitaire s’achève. Peut-on dire que tu es un cas unique en étant salarié et joueur de rugby de haut niveau ?
Je ne connais pas tous les cas en France.

Prenons ton club, combien de joueurs ont une activité professionnelle autre que le rugby ?
L’année dernière, dans notre groupe, trois sur trente-cinq joueurs avaient une activité en dehors du rugby, l’un professeur d’éducation physique et l’autre à la communauté urbaine.

Comment vois-tu l’évolution du rugby en France ?
Le Top 14 est une très belle fenêtre mais derrière cela pousse. Je pense qu’il y aurait moyen de créer une Pro D3 avec une dizaine de clubs de Fédérale, une, nouvelle division professionnelle qui aiderait par exemple des clubs comme le nôtre à se préparer.

Quel impact a la professionnalisation sur les fameuses valeurs du rugby ?
De ma propre expérience, si beaucoup de joueurs sont professionnels dans mon club, je suis intimement convaincu que nous n’avons pas perdu à Lille ces valeurs. Pour preuve, la réaction des joueurs qui étaient venus à Lille pour jouer en Division 2 et qui étaient frappés par la réaction du groupe, alors que souvent on parle de mercenaires.

Ce sentiment est-il général ?
Là encore, je ne peux parler que de mon vécu mais si je regarde le parcours du Stade français l’an dernier, il y avait une certaine cohésion et solidarité qui leurs a permis d’aller chercher le titre, alors que sur le papier, ils n’étaient pas favoris.

La solidarité, c’est la dernière valeur du rugby professionnelle ?
Non, il y a l’entraide, la fierté de porter un maillot et de représenter son club, le dépassement de soi-même individuel et collectif, l’envie d’aider le coéquipier de droite et de gauche.

Parlons de toi. Comment fais-tu personnellement pour mêler tes deux activités : rugby et assistanat en pédiatrie ?
On m’a octroyé un statut d’étudiant de haut niveau délivré par l’Université catholique de Louvain (UCL) et la Fédération Wallonie Bruxelles car en tant qu’assistant, nous sommes encore considérés comme étudiants bien que nous ayons déjà un salaire rémunéré pour le travail que nous effectuons.

Quels sont les avantages de ce statut ?
Des facilités d’aménagement d’emploi du temps qui m’ont permis, dans la procédure de validation de stage, de bénéficier d’un emploi du temps adapté.

Concrètement, comment organises-tu ton emploi du temps ?
Je passe deux tiers de mon temps à l’hôpital et le reste au club.


(Photo D.R.)

Est-ce-que cela a un impact sur tes performances sportives ?
C’est vrai qu’en fin de saison passée, j’ai ressenti de la fatigue d’autant que j’étais le seul à mon poste, mais quand on s’organise bien et qu’on a l’habitude d’entrer dans un rythme, cela se passe au mental.

Tu parles de mental. Est-ce-que, inversement, cette situation n’a pas des vertus car cela te permet de couper par rapport à d’autres joueurs, la plupart de tes coéquipiers, qui ne font que du rugby ?
Je suis depuis six ans à Lille et j’ai fait peut-être trois grosses bringues avec les copains chaque année. Cela fait partie des sacrifices. Le rugby est un échappatoire pour la médecine et la médecine, un échappatoire pour le rugby. J’ai beaucoup plus difficile à m’entraîner le matin et d’aller en médecine l’après-midi ou bien d’aller en médecine le matin, m’entraîner l’après-midi et puis être de garde le soir mais je m’épanouis dans les deux et j’ai besoin des deux.

Compte tenu de la situation économique, du nombre de joueurs sur le marché et la difficulté de trouver du travail une fois la carrière de rugby professionnel achevé, est-ce-que tu n’es pas le mieux loti aujourd’hui ?
Je n’ai pas cette prétention. Je suis très heureux de ce que je fais mais chacun doit essayer de trouver son compte dans ce qu’il fait. Je pense aussi que le joueur de rugby n’est pas aussi bête qu’on le pense et parvient la plupart du temps à engranger des formations durant sa carrière pour se trouver une porte de sortie à la fin sa carrière. J’ai l’impression que le rugby actuel prend de plus en plus conscience de cette réalité et demande de plus en plus aux jeunes d’avoir une porte de secours.

Demain, on te propose un contrat professionnel, tu acceptes ?
La question derrière un contrat professionnel plein temps, c’est la durée. La première chose que je ferai, c’est d’en parler à ma fiancée puis à ma chargée de stage et voir si elles sont d’accord. J’ai toujours tenu ce discours auprès de ma faculté. Je tire des ficelles, je raccroche des bouts pour pouvoir faire les deux depuis plusieurs années et j’ai toujours prouvé que j’étais capable. Le jour où ce n’est plus possible, je devrai faire un sacrifice.

Tu joues par ailleurs à un poste à risque qui dans ton métier pourrait avoir des conséquences. Comment abordes-tu cette question ?
Encore une fois, si tu te prépares comme il faut pour pouvoir y jouer … Je suis venu d’un poste de 3ème ligne, on m’a demandé de passer en 1ère ligne. Ce poste exige des efforts en salle de musculation. C’est comme dans la vie, quand on est conscient des risques et qu’on fait tout ce qu’il faut pour les minimiser et pour les contrôler au maximum.

Quel message enverrais-tu aux jeunes qui ont envie de tenter l’aventure du rugby de haut niveau ?
Si c’est quelque chose qui leur plaît, c’est une très bonne idée. Mais, tout jeune qui se lance, doit avoir conscience qu’il faut beaucoup d’autodiscipline et que cela passe par des sacrifices. Franchir la porte d’un centre de formation de rugby, cela ne veut pas dire : je vais me consacrer uniquement au rugby et j’oublie mes études. On est tous conscient, peut-être moins les jeunes actuellement, de la situation sociale et économique européenne et des taux de chômage élevés. Au plus on est formé dans ce qu’on veut faire, au plus on se donne des chances d’avoir un travail plus tard après une carrière rugbystique.