Hugues Dispas. (Photo Sportkipik.be)

Vous avez été démis de vos fonctions avec Gert Van Looy – lui-même tout juste rentré de Sotchi ! – alors que votre équipe était encore seconde au classement du championnat. Le Conseil d’administration de Dendermonde a-t-il mal digéré la défaite en coupe contre une équipe de Division 2 ?
On peut penser cela mais je suppose qu’il doit y avoir d’autres éléments dont je ne suis pas conscient car j’ai appris mon éviction par un mail de deux lignes : « Le conseil a décidé de mettre fin immédiatement à notre collaboration »

Tu veux dire qu’ils ne t’ont même pas appelé ?
Ni appelé, ni vu, comme dans un mauvais club de foot !

Cette pratique est-elle surprenante ?
Oui et non. Ils ont déjà débarqué quelques entraîneurs par le passé : Denis Duchau avait eu des ennuis, Marc Delreux s’est fait sortir aussi de manière inélégante. Moi, je dis toujours que gagner ou perdre n’a pas grande importance, c’est la manière dont on fait les choses qui détermine l’importance et qui on est.

Comment digère-t-on cela ?
La page est tournée. J’ai eu des tas de messages de joueurs qui ne comprenaient pas non plus. Je suis passé voir le match contre l’ASUB car il y avait des petits points à régler avec la direction du club mais je n’ai pas eu plus d’explication. S’il y avait eu une fracture avec les joueurs, j’aurais compris. La page est tournée.

Il y a quand même cette défaite contre La Hulpe qui n’est pas totalement anodine dans la décision du club.
Après ce match contre La Hulpe, j’avoue que je n’ai pas dormi de la nuit. Je me suis posé la question de ma faculté à motiver ces joueurs en perspective des play-off. J’avais même prévu une réunion avec eux pour mettre les choses au point et repartir sur la deuxième phase. Et, si l’équipe avait reproduit le même match, une semaine plus tard, j’aurais moi-même remis ma démission. Le comportement des joueurs contre La Hulpe était inacceptable.

Ce sont des termes très durs…
Les joueurs m’ont avoué qu’ils pensaient que ce serait un match facile. Il y a eu une démission collective.


(Photo Sportkipik.be)

Vous aviez sous-estimé la Hulpe comme on sous-estime à nouveau l’ASUB pourtant champion en titre ?
Tout à fait d’accord et mon objectif était de les battre deux fois pour les empêcher d’accéder au play-off.

Ce n’était pas très sympa pour ton ami Pierre Amilhat ?
C’est bien tout le contraire, j’ai beaucoup de respect pour lui et je sais combien il faut s’en méfier, surtout en phase finale.

Peut-on imaginer de vous voir à nouveau associer ?
Disons que je n’exclus pas de retravailler avec lui.

Pierre Amilhat et Huges Dispas, c’est un duo explosif ?
C’est avant tout une longue et vieille histoire puisque j’ai fait appel à Pierre lors de ma première année en tant qu’entraîneur. J’étais alors président de l’Avia (NDLR : surnom donné durant les années 1970 et 1980 au Royal Kituro Rugby Club pour la couleur aviateur de leur maillot). Ne trouvant pas d’entraîneur, je m’étais improvisé au poste en attendant de trouver la perle rare. J’avais contacté Alain Limbos, Philippe Lally, etc… finalement Pierre Amilhat avait accepté de m’aider une fois son bail terminé avec l’équipe nationale – à la mi-saison – et nous avions fait remonter l’équipe en 1ère division.

Pour beaucoup, votre duo est resté associé à Boitsfort. C’est donc plus tard que se forme le duo avec Amilhat qui marque l’âge d’or de Boitsfort ?
Il se passe une saison entre les deux où Pierre retourne à Boitsfort tandis que j’essaie sans succès de maintenir l’Avia en 1ère division. Une expérience enrichissante en terme de gestion car j’avais très peu de joueurs et donc une responsabilité permanente. Depuis cette saison là, d’ailleurs, je considère que la présence aux entraînements n’est pas de la faute des joueurs mais du coach qui ne propose pas de choses intéressantes.

Vous avez chacun connu le succès dans d’autres clubs depuis en tant que manager, vous êtes deux fortes personnalités opérant au même poste. Est-il réaliste du coup de vous revoir ensemble ?
Nous gérons les groupes de manière différente mais au final, nous sommes complémentaires dans notre approche.

Très bien, alors qu’est-ce-qui vous différencie ?
Pierre est un analyste d’une finesse extrême qui se focalise beaucoup plus que moi sur des détails critiques alors que je suis plus dans du global mais, au final, notre approche est commune : créer un maximum de désordre et s’en servir.

Et au niveau du management ?
Je crois que Pierre a beaucoup évolué depuis l’époque. En ce qui me concerne, je fonctionne beaucoup à la confiance. Je veux que mes joueurs prennent des initiatives. Faire des fautes, cela fait partie du jeu mais je veux qu’ils osent le faire !

La responsabilisation est un mot clé ?
Tu peux ménager par la confiance ou la peur. Evidement on veut tous gagner mais si tu as des doutes sur toi ou tes joueurs, tu auras sans doute tendance à les limiter ou à restreindre le jeu.


A la mi-temps de la finale des play-offs 2011-2012, remportée face au Kituro. (Photo Sportkipik.be)

A Dendermonde, restreignais-tu tes joueurs ?
J’étais dans un rugby différent durant cinq ans. La liberté du joueur était moindre et la compréhension du jeu n’était pas partagée par tous. J’ai donc dû restreindre le jeu mais avec un groupe de francophones qui a des repères collectifs, je suis pour la prise d’initiative et un jeu non stéréotypé.

Tu aurais pourtant pu choisir à Dendermonde des joueurs étrangers plus compétents dans la lecture du jeu ?
(il me coupe) Les étrangers à Dendermonde, c’est du domaine du fantasme. Moi je pense que nous en avions moins que Boitsfort. Mais c’est vrai que, tant que l’école ne produit pas de joueurs à certains postes clés – 2, 3, 5, 8, 10, 15 – nous ciblons certains joueurs et nous pensions d’ailleurs, dans notre nouveau projet de jeu, regarder du côté de la France pour avoir des joueurs qui sont plus dans la lecture de jeu que les actuels Sud-Africains, Anglais ou Néo-Zélandais.

Quelques joueurs étrangers, en l’occurrence français, suffiraient selon toi à changer la mentalité de toute une équipe ?
J’aurais aimé le tenter, lucide sur la difficulté mais optimiste quant à l’engagement incroyable de ces joueurs.

Qu’ont-ils d’incroyables ces joueurs ?
Je vais te raconter une histoire. Quand j’étais entraîneur national des Pays-Bas, j’avais planifié un entraînement chaque semaine, le mercredi, à Amsterdam où j’avais systématiquement 50 joueurs, quelles que soient les conditions climatiques et le trafic parfois épouvantable en Hollande. Quand j’ai quitté cette sélection, j’ai pris une année sabbatique, ne pensant pas retrouver un tel niveau d’engagement. Pourtant, à Dendermonde, j’ai retrouvé le même niveau de la part des joueurs, une envie permanente et jamais, je n’ai regretté d’y aller en dépit du temps passé en voiture pour m’y rendre depuis Bruxelles et de toutes les contraventions que j’ai récoltées !

Serait-ce donc culturel ?
Peut-être. Il se trouve qu’il y a du caractère dans ce groupe et les étrangers sont des moteurs.

La compétition belge tourne sur elle-même ces dernières années. Cela explique-t-il tes déclarations souvent provocatrices ? (NDLR : la dernière en date, postée sur sportkipik par H. Dispas, quelques jours avant sa mise à l’écart, visait Boitsfort qui selon lui avait pris l’ASUB à la légère)
(il rigole) Peut-être… Mais en l’occurrence pour celle-ci, je trouvais vraiment que Boitsfort avait manqué de respect pour le jeu et pour l’adversaire en envoyant une demi-équipe à Waterloo (NDLR : le match s’est soldé par une large victoire de l’ASUB)

Boitsfort avait-il sous-estimé l’ASUB ?
Oui ! Mais je le dis car j’ai beaucoup de respect pour Boitsfort. Pour moi, c’est l’école de l’excellence. Cela devrait être l’équipe qui gagne le championnat chaque année. Boitsfort, c’est un dard qui m’a été enfoncé dans le derrière et qui me permet d’avancer.


Pierre Amilhat et Hugues Dispas en 2004, à l’époque co-entraîneur de Boitsfort. (Photo Sportkipik.be)

Comment expliques-tu que Boitsfort n’ait plus gagné le championnat depuis cinq ans ?
Pierre Amilhat n’a pas été remplacé. Boitsfort n’a pas remplacé quelqu’un de son calibre, de son expertise, de sa qualité.

L’entraîneur de Boitsfort, Emmanuel Descamps, va sans doute apprécier le commentaire ?
Emmanuel doit avoir ses qualités mais je pense qu’il fait de grosses erreurs de gestion, notamment en demi-finale contre Dendermonde la saison passée. Nous étions friables devant avec uniquement deux piliers, comme depuis le début de saison, mais bons derrière. Il ne faut pas être un génie du rugby pour analyser les forces de l’adversaire. Donc effectivement, Emmanuel a un potentiel de développement encore immense.

Boitsfort n’avait-il pas un problème similaire en première ligne ?
Je ne crois pas mais dans mon esprit, Boitsfort, c’est la culture du jeu et un niveau d’exigence. Le souvenir que j’en ai : des athlètes très techniques et des joueurs en quête d’excellence. Quand je parlais de Boitsfort à mes joueurs, à Dendermonde, c’était avec émotion et avec respect, ce qui les encourageait à travailler. Du coup, aujourd’hui, Dendermonde ne fait plus aucun complexe. Ils les ont battus six fois sur les huit derniers matchs. Du reste, leurs déclarations continuent de motiver leurs adversaires !

Mais tu les alimentes aussi ces déclarations ?
(il rigole à nouveau) Un coach doit se servir de tout.

Tu vas même jusqu’à créer la polémique ?
Oui, s’il le faut !

Au-delà, tu juges que les Boitsfortois manquent de modestie ?
Parle avec n’importe qui de Boitsfort, le premier mot qui vient, c’est arrogance. Ce manque d’humilité coûte cher à la fin. Même quand le capitaine, Bastian Vermeylen, dit en début d’année : « nous sommes des compétiteurs, nous allons faire le triplé » alors qu’ils ont gagné uniquement la coupe mais rien d’autre ces dernières années. Je comprends d’un côté l’ambition du gamin. De l’autre, je me dis qu’il n’a pas compris qu’ailleurs, ça bosse aussi très dur ou mieux qu’à Boitsfort. Fanfaronner, cela donne des armes à l’adversaire.

C’est le tournoi actuellement, les Boitsfortois sont surreprésentés par rapport à Dendermonde chez les Diables Noirs, comment l’expliques-tu ?
Je pense que Dendermonde est un peu loin de Bruxelles. Peut-être que mes relations avec Richard Mc Clintock ont eu une influence.

Les Diables Noirs ont à nouveau perdu contre le Portugal et entament grandement leur chance de rejouer le Tournoi l’année prochaine. Qu’en penses-tu ?
Moi, je suis un vieil homme, je crois aux vertus de travail et je ne changerai pas. En n’ayant pas une exigence, en ne faisant pas travailler assez les joueurs, on ne peut obtenir de bons résultats.

L’effet de surprise n’étant plus de mise, la préparation était-elle bonne ?
En quoi Hong-Kong prépare les Diables Noirs à leurs échéances du printemps ou qu’on leur propose que cela ? Cela n’aurait-il pas été plus intéressant de faire un camp de dix jours en Belgique et de jouer dans une triangulaire l’Allemagne ou la Pologne. Moins de fatigue, pas de décalage, pas de changement climatique.


A Boitsfort lors de la saison 2004. (Photo Sportkipik.be)

L’esprit d’équipe grâce à ce type de tournée a peut-être été privilégié ?
Chaque joueur de l’équipe nationale doit se poser la question : est-ce-que je mérite le maillot ?

Richard Mc Clintock est-il le seul fautif ?
J’étais entraîneur de la Hollande. Emmener la Belgique de la 52ème à la 30ème place, ce que Richard a fait, je l’ai fait et beaucoup plus vite : en dix-huit mois ! Je l’ai fait avec des gens dont je ne parle pas la langue, dont je ne comprends pas le rugby et dont je ne partage pas la culture.

Le staff des Diables Noirs n’aurait-il pas été assez exigeant avec ses joueurs ?
En deux ans, ils gagnent un match : contre la Tunisie ! C’est le résultat d’une politique, il n’y a pas d’excuse. L’exigence vis-à-vis des joueurs doit être exacerbée au niveau international. Actuellement, les joueurs ne jouent pas assez ensemble. En outre, l’erreur majeure est d’avoir déclaré publiquement que la Belgique allait jouer la coupe du monde dans quelques années. C’est fantastique mais dans ce cas, toutes les équipes doivent être suivies de manière rigoureuse et le joueur se doit d’être au rendez-vous. L’équipe nationale n’appartient à personne.

La Fédération et les deux Ligues n’ont pas de responsabilité selon toi ? J’entends de la part des joueurs que les moyens ne sont pas toujours offerts à cette équipe ?
Ce que je sais, c’est que Richard a toujours été payé. Il prend 45 000 euros par an, tout le monde le sait. Je n’ai rien contre la somme car j’aurais dû être payé la même chose en Hollande. Mais quand tu prends 45 000 euros, tu bosses et tu ne viens pas une fois tous les quatre jeudis ! Un international, ce n’est pas juste une carte de visite. Quand tu perds un match, deux matchs, trois matchs, il y a quand même une remise en question à attendre ! Les déclarations comme le fait que Marconnet va venir, c’est de l’esbrouffe. La seule réalité que je connaisse en tant qu’entraîneur de rugby, c’est le terrain.

Le poste de l’équipe nationale est-il désormais réservé à des entraîneurs étrangers ? Si non, es-tu candidat ?
Oui, clairement

Nicolas Le Roux réunit les joueurs de l’équipe nationale belge de Seven tous les mardis matin, tu réunissais les internationaux hollandais tous les mercredis soir. Est-ce la voie à suivre ? Est-il applicable aux Diables Noirs dont l’effectif est divisé entre la France et la Belgique ?
Je ne pense pas qu’un joueur qui joue des matchs de Fédérale 3 en Corse tous les week-end a le niveau de répondre aux exigences du tournoi 1A et même de jouer la Moldavie et l’Allemagne, si on redescend, car ces deux équipes sont devenues très costauds.

Est-ce-possible de réunir de manière hebdomadaire les Diables Noirs ?
J’entends qu’il y a une volonté de construire ou reconstruire à la fédération et je pense qu’il faut habiter en Belgique pour travailler en collaboration avec les ligues. Nous vivons dans un petit pays. Bien entendu, certains joueurs comme Julien Berger, n’ont pas intérêt à venir tous les mercredis.

Est-ce-que cela sera suffisant ? On parlait plus tôt d’un championnat de 1ère division qui tourne en rond…
Il y a une initiative intéressante : c’est la Bénéligua, les quatre meilleurs belges et les quatre meilleurs hollandais dans un championnat.

Alors, selon toi, les Hollandais permettraient aux Belges de progresser. Ils ne brillent pourtant pas actuellement ?
Ils ont pris un entraîneur français Jean Vidal qui je crois a commis l’erreur de faire jouer les Hollandais comme des Français.

Dès lors, ne leur offres-tu pas trop de crédit ?
Sauf qu’ils se professionnalisent. Ils ont désormais quatre centres de formation avec des joueurs qui vont pratiquer du rugby plus de 20 heures par semaine, ensemble. Avec le souci de planification et du détail qu’on leur connaît, je crois bien que la Hollande sera à la Coupe du monde avant la Belgique.

Je reviens sur la Bénéliga. Qui est derrière ce projet ?
Les deux fédérations et la plupart des clubs de D1 de Hollande et de Belgique.

Si oui, c’est pour quand ?
Le projet avance bien.

Tu es en train de m’annoncer la fin de la North Sea Cup ?
Avec le respect que j’ai pour tout le monde, franchement je préfère faire 100 km de plus pour aller jouer sur un synthétique que sur le terrain de Coq Moisan.