Gilles Teisseyre. (Photo D.R.)

Est-ce-que l’argent est encore un gros mot dans le rugby belge ?
Cela dépend comment tu l’écris. Il n’y a pas d’argent dans le rugby en Belgique. Il y a un très bon niveau qui manque de moyens.

Moyen égal argent ?
C’est un panaché car il faut financer des infrastructures, de l’encadrement … mais il en faut plus, c’est certain.

Où cet argent devrait-il être investi ?
En direction des clubs, ce sont les écoles de rugby qui attirent les jeunes, stimulent et c’est le nombre qui sera attiré, qui permettra demain au rugby belge d’avoir des résultats internationaux. La seconde étape, c’est de garder ces joueurs et donc stimuler le niveau.

Tu as lancé un club de partenaires, quelle a été la réaction du milieu ?
Très positive, même si je n’étais pas pionnier dans le domaine.

D’un point de vue business, vois-tu un potentiel ?
Le problème du rugby belge tel que je l’ai découvert est que nous restions dans une ambiance très rugby un peu patronage, ce que l’on aime car c’est la vie de club mais si on souhaite se donner des moyens, il faut être capable de lancer des messages à l’extérieur, donner de la visibilité au rugby et encourager les entreprises à nous soutenir.

T’inspires-tu d’un modèle ?
Oui, je regarde ce qu’il se passe ailleurs – notamment Entreprise et Rugby en France - et j’essaie de transposer quelques initiatives, en tenant compte de la réalité, de la culture du rugby belge et des moyens présents. Ils invitent par exemple des joueurs qui font la Une de l’actualité, ce qui est plus difficile en Belgique car beaucoup de Belges ignorent encore qu’il existe une équipe nationale de rugby.

Quel est le succès de ce type de club ?
Un panachage de professionnalisme, de médiatisation de ce sport… donc je pense qu’en Belgique, ce sera beaucoup d’acharnement.

Ambiorix, pour faire écho à la chanson « Quel drôle de nom ? Pourquoi pas libellule ou papillon ? »
Parce que Ambiorix est le chef emblématique de la Gaulle belge, c’est le Vercingétorix des Français. Et pour ajouter à la rivalité entre les deux peuples, je me suis souvenu, pour motiver mes amis Belges que César disait « de tous les peuples de la Gaulle, les Belges étaient les plus braves ».

Tu es Français. Devrait-on retrouver dans Ambiorix tous les exilés fiscaux français passionnés de rugby ?
Je suis Français en effet mais installé depuis quinze avec des enfants qui ont fait leurs études ici. Ce n’est pas un club français, je suis l’un des trois co-fondateurs avec Paul de Lophem qui est belge et Patrice de Boismorel, qui est franco-belge.

Quel est votre objectif ?
Structurer l’intérêt des entreprises belges autour de leur rugby et de leurs joueurs

Ça prend bien ?
Paradoxalement, c’est souvent plus des entreprises françaises qui sont intéressées pour devenir sponsor mais j’ai presque tendance à freiner pour les entreprises belges s’approprient cette initiative.

Combien d’adhérents compte Ambiorix à ce jour ?
Il y a 12 chefs d’entreprises mais nous espérons être plus de 50 en fin d’année prochaine et – même si c’est ambitieux – 300 d’ici trois ans.

Quel budget comptez-vous rassembler ?
Cela pourrait générer un budget de 250 000 euros à échéance de trois ans, sachant que la cotisation est de 850 euros pour une entreprise et 250 pour un particulier.


Quel est le profil de ces premiers adhérents ?
Des gens qui ont un lien avec le rugby mais qui souhaitent s’y plonger un peu plus. Donc l’idée est de structurer un état d’esprit actuellement avec eux pour partir sur une saine base.

Que leur proposes-tu ?
Disons qu’un des objectifs d’Ambiorix sera de mettre un nom et un visage sur des joueurs des Diables noirs, de manière à ce qu’ils soient fiers, eux de représenter la Belgique et que ces entreprises se rendent compte qu’il y a des joueurs qui se tordent les boyaux sur le terrain.

Avec qui collabores-tu ?
Pour être honnête, le rugby c’est un peu le foutoir. On ne comprend pas toujours très bien qui fait quoi.

A qui penses-tu en disant cela ?
A la répartition des pouvoirs entre Fédération, Ligue, clubs, francophone, néerlandophone… et comme on ne comprends pas, il faut partir d’une idée simple : on pense rugby. Nous sommes ni à la solde ni des clubs, ni de la Fédération, ni de la Ligue. Nous sommes un club de sponsors et nous allons laisser les acteurs du rugby, proposer des projets et allouer les budgets pour les réaliser.

Même s’ils ne sont pas légion, ne risquez-vous pas d’entrer en concurrence avec les sponsors des clubs par cette initiative ?
Pas du tout. L’idée fondatrice est d’aider les clubs qui donnent leurs joueurs à l’équipe nationale, développer leurs écoles de rugby et la visibilité du rugby. Nous n’avons pas envie de truster leur sponsor mais de stimuler, créer un environnement entre entreprises et rugby.

Quels arguments emploies-tu pour convaincre des nouveaux entrepreneurs à entrer dans Ambiorix ?
Le rugby est un excellent support pour l’image de la Belgique et pour la prise de risque sur les marchés internationaux. Bien plus que le hockey, le rugby est un sport international. Le rugby à 7 est un sport qui devient olympique avec des tournois à Dubaï, Singapour, Hong-Kong, l’Afrique du Sud, des pays où il y a de la croissance, où les entreprises cherchent à aller.

Tu reviens de Dubaï. Tu sembles conquis par le rugby à 7 ?
J’ai vu les résultats des équipes belges. Le Seven est encore un sport neuf. C’est plus facile de se propulser dans ce club que dans le 15 qui reste encore très fermé en Europe.

Comment vois-tu l’évolution ?
C’est un pari que je fais bien que je vienne du 15 mais je pense que le Seven va révolutionner le rugby. Il y aura des choix dans les fédérations (NDLR : c’est déjà le cas chez les filles notamment dans certaines fédérations comme l’Allemagne). A l’international, le Seven rebat les cartes aussi bien sportives qu’économiques à l’image de l’équipe de France qui a pris un bouillon à Dubaï.


Les 3 co-fondateurs d’Ambiorix. (Photo D.R.)

Tu sais que ce discours risque d’heurter les quinzistes ?
Non, surtout pas, je suis un quinziste mais il faut être lucide, le 15 ne sera jamais un sport olympique et l’image du rugby peut se véhiculer à travers le 7. Il y aura deux circuits qui, au fil des années, seront concurrents aux niveaux sportif et économique. C’est inévitable ne serait-ce qu’en terme de gestion des calendriers.

Mais le 15 à l’image de sa Coupe du monde reste l’un des plus événements sportifs les plus populaires au monde ?
Je ne crois pas que le Seven va être en concurrence avec le 15. Il y a des synergies communes à mener et peut-être même que le Seven va stimuler le 15 et peut-être lui ouvrir des territoires … mais c’est sûr qu’il va y avoir des choix stratégiques au sein des fédérations. Du reste, en terme de business, je ne suis pas sûr que ce seront les mêmes canaux.

Actuellement néanmoins, le 15 toute proportion gardée concurrence le football dans certains pays ?
Le problème du 15 est sa pénétration dans des terres qui n’ont pas, comme en Belgique, une culture de ce sport. Le rugby est complexe, technique quand le football est plus lisible. Parce qu’il est plus fluide, le Seven est plus compréhensible. On ne peut pas faire des mêlées dans la rue alors que du seven on peut plus l’imaginer. Enfin, l’effectif d’une équipe Seven, sa gestion économique, ses déplacements, etc…. dans une crise économique, c’est plus accessible au budget d’une entreprise.

Tu sembles vraiment subjugué par l’expérience que tu viens de vivre à Dubaï ?
Tu ne vas pas voir un match de rugby à 7 comme un match de rugby à 15 ! A Dubaï, je ne suis pas sûr que les spectateurs seraient venus pour un match à 15. C’était une fête dans un endroit de rêve où les gens s’amusent, regardent un match, vont faire autre chose, reviennent voir un autre match. Ce n’est pas le cas pour un match à 15 où les spectateurs viennent voir la rencontre puis repartent faire la fête en ville. Ici, les gens vivent ensemble pendant trois jours ! De plus, par la performance de notre équipe nationale et nos jeunes, j’ai aussi été témoin du potentiel sportif.

Dans un livre sorti en 2009 (« Vers l’hyperrugby. Triomphe du sport unidimensionnel »), l’auteur Xavier Lacarce s’insurge contre le rugby spectacle. A t’écouter, le Seven et la crise économique ouvre deux nouveaux chapitres. Le rugby doit-il être absolument mondial ? L’économie doit-il dicter l’avenir du rugby ?
La question ne se pose pas si c’est bien ou pas. A partir du moment où il y a de l’argent quelque part, le mouvement s’enclenche, c’est le sens de l’histoire. On apprécie ou on n’apprécie pas mais c’est comme cela. En revanche, j’apprécie en Belgique le fait de retrouver le rugby de mon enfance, un rugby de club très soudé avec une ambition professionnelle qui reste encore en arrière-plan. Les gamins en rêvent mais les vieux s’y retrouvent. Mais c’est un fait, les joueurs de demain sont attirés par un sport dont ils pourraient en faire leur métier, c’est comme cela.

Et c’est bien pour cela qu’ils quittent le territoire belge !
Effectivement et c’est un des objectifs d’Ambiorix que de travailler avec les clubs et les pouvoirs publics afin de garder les joueurs dans le championnat belge.

Comment ?
En permettant, par exemple, aux joueurs de bénéficier d’un contrat professionnel qui leur donne une flexibilité de se libérer pour pouvoir rejoindre l’équipe nationale ou des compétitions internationales sans conséquence pour leur emploi.