L’ASUB débute son championnat dimanche contre Liège en tant que champion. Avais-tu imaginé un tel scénario, il y a tout juste un an ?
Non, l’objectif était d’entrer dans les play-offs mais de bien faire une fois dedans. Quand je suis arrivé à l’ASUB, après avoir vu le potentiel du groupe et le talent qui existait dans le club, nous étions partis sur un cycle de trois ans. Il s’est trouvé que nous avons été en avance sur notre projet.


Pierre Amilhat après la victoire en finale des play-offs face à Dendermonde. (Photo Alain Dams)

A quoi attribues-tu cette réussite ?
Ce succès s’appuie sur un noyau de joueurs qui ont fait, en l’espace d’un an, de substantiels efforts en termes de préparation physique, de présence aux entraînements et d’engagement dans la vie du club. Derrière, il y a également un concours de circonstances - et peut-être des performances un peu moindres de cadors du championnat – sans exclure que nous avons jouer de mieux en mieux au cours de la saison, ce qui nous a permis sur la fin de nous concentrer non pas sur notre jeu, mais sur l’observation du jeu adverse.

Surtout que l’ASUB n’était pas favori ?
J’adore ce décalage entre la perception générale et celle que je me suis faite de ma propre équipe. Il m’intéresse d’autant plus qu’il me sert !

Dans quelles circonstances as-tu abordé ces phases finales la saison passée ?
Sans fausse modestie, j’étais assez sûr de mon coup à la fois en demi-finale puis en finale. Certes on aurait pu perdre mais pas de beaucoup, c’est évident. J’avais une grande confiance dans le groupe. Notre rôle en tant que staff était de faire passer cette confiance aux joueurs. Peut-être que la perception générale a eu un effet inverse pour ces clubs, en se préparant face à nous avec moins de sérieux qu’ils n’auraient dû.

L’ASUB gagne sa demi puis sa finale sur le même scénario, à savoir d’excellentes premières mi-temps. Est-ce une stratégie ou les circonstances de jeu ?
Je suis d’un pragmatique absolu sur cette question. Classiquement, quand j’étais à Boitsfort, je préférais terminer très fort, c’est-à-dire contrôler en première mi-temps puis injecter du sang neuf progressivement. La différence à l’époque, c’est que le banc qui montait était de plus en plus fort. C’est toujours la force de Boitsfort et c’est d’ailleurs ça qui nous fait perdre la Supercoupe !

Arrivé à l’ASUB, tu as donc changé de stratégie ?
Nous avons observé en fin de saison régulière que le groupe, naturellement, faisait de fortes premières mi-temps. Nous avons pris cela en considération. Nous avions essayé d’autres méthodes durant la saison mais elles n’étaient pas adaptées aux joueurs que nous avions. Nos trois-quarts piaffent. Ils veulent mettre du jeu rapidement. Pourquoi, si les gars sentent les coups et qu’en adaptation, ils sont capables de marquer, ne pas les y encourager ?

Quel est l’objectif de la prochaine saison ? Faire durer cet enthousiasme et cette efficacité plus d’une mi-temps ?
Avoir une profondeur de banc est essentiel car cela nous donnera la liberté de choisir une formule ou l’autre en fonction du match.

Comment y parvenir ?
A l’ASUB, l’approche ne consiste pas à avoir des joueurs supplémentaires qui viennent d’ailleurs mais d’utiliser à fond le potentiel du club c’est-à-dire intéresser plus de joueurs à s’entraîner plus régulièrement pour entrer dans un groupe axé sur la compétition ; ce qui n’était pas le cas quand je suis arrivé, à ma grande surprise.


(Photo Alain Dams)

Restons encore en instant sur le championnat. Avec un promu chaque saison, le championnat tourne un peu en rond quand l’équipe nationale est en pleine ascension. Que devrait faire la fédération (FBRB) ?
Je ne crois pas que la fédération soit intéressée par la vie des clubs ou disons qu’elle ne le montre pas.

Que reproches-tu à la Fédération ?
Ce qui m’a impressionné ces dernières années, c’est l’absence d’affluence aux matchs de phases finales. Quand Boitsfort et l’ASUB s’affrontaient, il y a quelques années, le Heysel était complètement rempli. Aujourd’hui, on a le sentiment que c’est presque, par obligation, que la Fédération organise la finale. Par ailleurs, c’est frappant que les petites divisions n’aient plus droit à leurs finales au Heysel comme avant.

Il y a pourtant un public rugby quand on observe l’affluence pour les matchs des Diables noirs ?
Il y a effectivement un public mais il ne vient pas nécessairement pour voir du rugby. Il vient pour voir gagner les Diables noirs et il a raison.

Quelle stratégie devraient adopter les clubs ?
Je ne veux pas faire de procès à la Fédération. Les clubs n’ont qu’à se prendre en charge ! Tous les grands championnats professionnels ont une structure qui représente leurs intérêts et qui fait en sorte de faire progresser le rugby des clubs. Nous devons y arriver à un moment. La fédération a d’autres missions : promotion, formation, visibilité, soutien aux équipes nationales…

La North Sea Cup, selon toi, c’est un bon exemple pour augmenter le niveau des clubs ?
C’est effectivement une possibilité. Nous verrons bien ce qu’elle donnera car cela reste fragile comme hypothèse. Mais, si l’expérience est concluante, elle pourrait nous conduire vers un véritable championnat.

Les clubs belges individuellement ont-ils les moyens de rivaliser à une échelle européenne ?
Il faut peut-être concentrer l’élite belge dans trois ou quatre franchises. C’est l’expérience que nous allons mener avec Soignies, cette saison, dans le cadre de la North Sea Cup.

Sous quelle forme ?
Nous avons crée une franchise qui sera une sélection des deux clubs. On décidé de partir sur un an et on verra commença marche. Si c’est profitable, on pourrait imaginer qu’à Bruxelles, le même phénomène se passe, par exemple entre Boitsfort et le Kituro, du côté des Flamands aussi avec Leuven et Dendermonde, etc…

Quel sera le nom de cette franchise ?
Ce n’est pas encore officiel.

La Supercoupe que tu viens de jouer peut-elle aussi contribuer au développement du rugby des clubs ?
Oui, si c’est un outil de promotion du rugby. En revanche, je suis contre l’idée d’une Supercoupe un 24 août et dans un lieu déconcentré où personne ne va, comme les saisons passées.

Et à quelle date déplacerais-tu la Supercoupe ?
Je programmerais la Supercoupe après les phases finales, au moment où les joueurs sont en forme, encore mobilisés et le public demandeur. Le rugby n’est pas terminé après les phases finales.

Concernant cette Supercoupe et cette défaite face à Boistfort. Quelle analyse en fais-tu ?
On a perdu plus que Boitsfort n’a gagné.

Dans l’histoire des deux clubs au cours des 15 dernières années, c’est un refrain déjà connu venant de l’ASUB. Est-ce le retour des vieux démons ? La fragilité psychologique ?
Oui… mais il y a mot pour expliquer cette défaite : la discipline. Le score bascule au moment où on se fait sanctionner de trois pénalités par l’arbitre.

Je n’étais pas au match, toi non plus, mais selon les compte rendus, c’est à 14 et donc également indiscipliné que Boitsfort se révolte, renouvelant à l’identique le scénario d’un match de saison régulière. Surprenant ?
Ce n’est pas grave. Le groupe est jeune, très, très, jeune. L’expérience se gagne sur le terrain, il faut que ses mecs jouent ! Certains ont vingt ans, d’autres dix-neuf et il y en aura encore plus cette année, issus de juniors puisque nous n’avons pas de troisième équipe pour faire la nursery, comme à Boitsfort, avec ses Espoirs.


(Photo Sportkipik.be)

Les résultats des équipes cadets et juniors de l’ASUB au cours des dernières saisons est en baisse. Est-ce un sujet de préoccupation pour le club ?
C’est un gros défi pour le club. Nous n’avons pas le luxe d’envoyer les jeunes joueurs dans une équipe intermédiaire.

Bien avant Boitsfort, l’ASUB avait pourtant une équipe 3 ?
Elle a disparu faute de combattants mais c’était une équipe plutôt de vétérans. C’était une autre approche, une autre philosophie.

Pour revenir à cette finale, quels enseignements en tires-tu à la veille d’entamer le championnat ?
Nous ne sommes pas loin. La saison, ce sera autre chose. C’est finalement en demi-finale et en finale que les choses se décident.

L’objectif, c’est conserver le titre ?
Oui. Cela n’aurait aucun sens de dire autre chose sauf à faire son Guy Roux.

Pour autant, peux-tu dire que l’ASUB est favori de ce nouveau championnat ?
Dans l’esprit de beaucoup, l’ASUB n’est pas encore crédible. Certains même, notamment du côté du Plateau de la Foresterie, ne sont pas encore convaincus que nous avons été champions. C’est un joli défi pour nous.

Justement, tu en parles. Ce premier match de Pierre Amilhat champion, avec Waterloo, t’a opposé à ton club de cœur, Boitsfort. Est-ce-que ça reste particulier d’affronter ce club ?
(Il met du temps à répondre) Un petit peu. Mais, je suis passé à autre chose.

Combien de temps es-tu resté à Boitsfort ?
Trente ans, dont onze saisons à la tête de l’équipe première, partagées en trois périodes. Cela restera mon club, c’est incontestable. Cela a été dur de m’en débarrasser mais aujourd’hui j’ai tourné la page.

Que s’est-il passé lors de cette dernière saison à Boitsfort ?
J’en avais ras-le-bol mais après réflexion, Boitsfort en avait ras-le-bol de moi. Je faisais de l’ombre à trop de gens qui avaient des ambitions d’exister.

Cela a dû être douloureux …
Je ne suis pas parti dans les circonstances que j’aurais espéré. J’aurais aimé que ce soit un petit peu plus paisible. Mais à la fin, j’étais « gavé » par un certains nombre de personnalités au sein de l’équipe sénior.

N’est-ce-pas inévitable ? On parle souvent de cycle.
Pour moi le rugby c’est une affaire d’hommes et je dois dire que ce groupe de Boitsfort était, à l’époque, vraiment trop disparate. La notion de groupe n’existait pas. Il y avait des clans qui rendaient la relation humaine compliquée. Etaient présents également quelques imposteurs, ce que je déteste le plus dans le rugby.

Et toi dans tout cela ?
J’ai moi-même fait une réaction de rejet. Heureusement, en arrivant à l’ASUB, j’ai trouvé un groupe infiniment plus frais, moins hypocrite, moins agrippé à ses petits privilèges. Des joueurs plus jeunes, plus insouciants, plus fragiles également, parfois.

Parlons de ta longévité au plus haut niveau belge. Comment l’expliques-tu ?
Je me suis remis souvent en cause surtout quand je regarde mon niveau de connaissance il y a trente ans : c’était affligeant !

Comment se remet-on en cause ?
J’ai embrassé toutes les formations qui se présentaient, offertes par les fédérations, j’ai entretenu des contacts, beaucoup observé, etc… La flamme ensuite est restée. L’attrait aussi.


Pierre Amilhat à Boitsfort lors de la saison 2009-2010. (Photo Sportkipik.be)

Qu’est-ce-que cela représente pour toi le rugby ?
Un mystère et je suis en quête de comprendre ce mystère. Bien entendu, c’est moins un mystère aujourd’hui qu’il y a trente ans mais je m’aperçois qu’il y a plein de choses que je ne sais pas et que je dois continuer d’apprendre.

Déformation professionnelle ?
Je ne sais pas… Je pense simplement que le rugby est un des sports les plus intelligents qui soit car ce n’est pas juste une question de raisonnements intellectuels, c’est d’essayer de faire passer ces raisonnements, ces principes, cette vision et cette compréhension du jeu à des groupes de joueurs qui doivent eux-mêmes intégrer, au minimum, une partie du message.

Aujourd’hui te considères-tu plus comme un manager que comme un entraîneur ?
Profondément, je suis plus entraîneur. J’ai plus de plaisir à former qu’à rassembler des ressources. Le travail de sélectionneur national que j’ai fait pendant trois ans, sur le plan du rugby ne m’a jamais satisfait. C’était trop peu à une époque où c’était confidentiel, où les joueurs ne venaient pas…

A ce sujet, un commentaire sur le sélectionneur des Diables noirs ?
C’est un bon sélectionneur national. Je ne suis pas sûr qu’il ait toujours les meilleurs joueurs mais de chaque groupe qu’il rassemble, il arrive à sortir le meilleur.

Revenons à l’entraînement. Existe-t-il une méthode Amilhat ?
Non. Les ambitions de l’entraîneur doivent correspondre à la quantité de travail que l’on peut mettre face à ces ambitions. Or, on voit les joueurs deux fois 2h/sem, plus la mise en place : c’est rien du tout !

Comment gère-t-on cette difficulté ?
Le principe essentiel que je m’impose est le principe d’utilité : je passe plus de temps sur les secteurs de jeu les plus importants, c’est-à-dire les plus rentables pour la performance.

Concrètement ?
Cela ne sert à rien, à mon avis, de passer des heures et des heures, à préparer des combines super compliquées sur des pénalités jouées à la main parce que tu n’en joues pas beaucoup dans un match. Comme je n’ai pas le temps, je ne le fais pas ou je le fais exceptionnellement.

Ce principe s’appuie sur les statistiques de jeu ?
Oui et celui qui passe un temps infini sur la mêlée, à mon avis, perd un peu de temps. Même si c’est une base idéale quand tu as des bons trois-quarts, des mêlées, il y en a peu dans un match : une trentaine, maximum.

Mais quand on observe le Four Nations, le championnat français, la mêlée continue de faire basculer des matchs ?
En terme de jeu, honnêtement, je ne le pense pas. Cela reste très important psychologiquement et je ne le néglige pas. Cela veut dire que nous en faisons fréquemment, mais pas longtemps. Nous passons beaucoup plus de temps sur les touches : dans un premier temps car il y en a plus dans un match, dans un second temps car c’est une base de lancement très intéressante. Nous passons enfin encore plus de temps sur les points de rencontre car il y en a plus d’une centaine, voire plus par match.

Derrière l’entraîneur, il y a l’homme. Quelle place attribues-tu dans ta carrière à ton caractère, reconnu comme étant dur ?
Je ne sais pas si je suis dur mais je suis exigeant, c’est sûr. Si le rugby était juste un loisir, je n’en aurais pas fait pendant trente ans. Ensuite, le rugby, c’est un sport d’homme, tu amènes ce que tu es.

Qu’est-ce qu’un bon entraîneur alors ?
C’est quelqu’un qui parle avec un grand niveau de sincérité à ses joueurs. Cela ne veut pas dire que le niveau de communication ne doit pas être contrôlé. Quand j’arrive après une longue journée de travail, je suis parfois épuisé et je suis mon pire ennemi.

Qu’arrive-t-il ? Tu t’énerves ?
J’ai parfois eu des difficultés avec des joueurs car j’avais eu du mal à maîtriser ma communication sur la forme c’est-à-dire sur le ton employé. Sur le fond, par contre, il faut toujours être d’une grande sincérité et dire les choses aux joueurs. Dans un sport de compétition, cela ne sert à rien de mentir !

Donc pour toi, l’entraîneur doit se justifier auprès des joueurs ?
Oui mais avec modération. Le joueur, aussi, a sa part de responsabilité. Il doit venir chercher l’explication. C’est ce que je demande à mes joueurs. C’est également nécessaire d’un point de vue purement pratique car on prend des postures parfois mais on oublie d’aller parler à ceux à qui on devrait parler, par oubli ou simplement car on ne peut connaître les attentes secrètes de tous les joueurs.

Tu as un excellent travail (NDLR : Pierre Amilhat occupe un poste de Directeur à la Commission européenne) mais accepterais-tu de tout lâcher pour entraîner une équipe professionnelle de rugby ?
Oui, tout de suite ! Notamment parce que les salaires qu’on verse actuellement dans le championnat de France sont de nature à rendre cette décision facile.

Le salaire serait-il déterminant dans ton choix ?
Oui parce ce que j’ai une vie familiale, des enfants qui ne sont pas tous complétement lancés. Ceci dit, je ne vais pas rester inactif quand je vais quitter la Commission européenne, je pourrais trouver une rémunération dans le rugby. Pas en faisant le coach à cet âge-là mais il y a bien d’autres choses que je pourrais faire, comme retourner entraîner à l’école de rugby.