Dans son dernier compte-rendu de Challenge Cup de la saison, le rédacteur en chef de Sportkipik, Bruno Verscheure, résumait ainsi la campagne du Kituro “Sans surprise, le Kituro boucle son parcours dans les sessions qualificatives de Challenge Cup avec quatre défaites en quatre matchs. Jamais, les champions de Belgique en titre n’auront démérité, mais l’écart avec leurs adversaires semi-pros et pros était trop important.” Un peu plus de deux mois plus tôt, le 14 novembre 2015, le Kituro entrait dans la cour des grands. Premier club de l’histoire du rugby belge à disputer une rencontre en Challenge Cup, il s’inclinait, pour son entrée en compétition, sur un score de 06-24 qui n’avait rien d’alarmant. Les déplacements en Espagne puis en Allemagne et, pour terminer, la réception d’un nouveau club italien, allaient s’avérer plus compliqués, le Kituro encaissant une moyenne de 58 points par match.

La question ici n’est pas de critiquer le parcours parfois héroïque des joueurs entraînés par Frédéric Duville, Sébastien Berger, Nick Johnson et Simon Adank. Il ne s’agit pas non plus de remettre en cause la participation du futur Champion de Belgique à la prochaine édition du Challenge Cup, la saison prochaine. Michel Coric, dans la dernière longue interview accordée à Sportkipik a été très claire à ce sujet. La question est de s’interroger sur la capacité du prochain représentant belge aligné à se qualifier et pas seulement participer. Dés lors s’ouvrent différentes problématiques ouvertes depuis plusieurs années sur le niveau du championnat de division 1, la rémunération des joueurs, le calendrier, l’option de franchise entre deux clubs voire encore l’inscription d’une équipe réunissant les meilleurs joueurs du championnat, sorte de Diables Noirs bis sans les expatriés, etc…

Pour aborder cette problématique, nous avons demandé l’opinion de Pierre Amilhat, un des meilleurs connaisseurs du rugby belge, multiple fois champion de Belgique et actuellement entraîneur de l’ASUB.


LA BELGIQUE A-T-ELLE SA PLACE EN CHALLENGE CUP ?
L’OPINION DE PIERRE AMILHAT


La Belgique n’a pas sa place pour le moment en Challenge Cup. Les équipes belges ne sont pas au niveau car elles ne s’entraînent pas assez et elles n’ont pas les moyens d’attirer des talents étrangers mais, au-delà ce constat, il est utile de lister les causes et d’y répondre.


(Photo Sportkipik.be)

Les moyens financiers ne sont pas là
Les joueurs et l’encadrement ne sont pas rémunérés ou alors de façon négligeable. Même si les meilleures équipes font des efforts de préparation remarquables, elles ne sont pas capables de rivaliser avec les clubs Allemands, Italiens ou Espagnols en termes de puissance et d’organisation. Sans entrainements fréquents et pertinents, point de salut. Mais alors comment faire ?

L’équipe nationale est en grande partie "expat-dépendante"
Il y a du talent en Belgique. J’ai la chance de le côtoyer depuis de longues années. Toutefois il faut bien admettre que pour exister dans le Tournoi B où se retrouvera, on l’espère tous, l’équipe nationale Belge, cette dernière ne pourra pas se passer –à quelques exceptions près- des belges expatriés ou rentrés au pays après une expérience étrangère significative. Cette dépendance aux expatriés s’accroitra avec la montée à l’étage supérieur. Sur le principe, il n’y a rien là de négatif, ni moralement, ni sportivement. Toutefois, cet appel aux joueurs opérant à l’étranger s’accompagne d’une négociation parfois difficile avec les clubs "employeurs" et des joueurs souvent tiraillés entre la pression (pas toujours) amicale de leur Club et le désir de porter le maillot Belge. La délégation pourrait être tentée brandir le règlement de l’IRB sur la mise à disposition des joueurs internationaux. Toutefois, elle hésite probablement car le rapport de forces ne lui est pas nécessairement favorable et il est difficile d’agir lorsque la carrière du joueur est en jeu. Il est donc utile de diminuer cette dépendance en renforçant le niveau de la compétition nationale.

Un championnat plus compétitif et "montrable"
La compétition nationale doit être renforcée pour donner plus de profondeur au rugby belge. Pour cela il faudra offrir le dimanche un spectacle « montrable » aux medias et, partant, aux partenaires actuels et potentiels. Un rugby "montrable" veut dire des matchs à enjeu avec une retransmission TV réalisée dans de bonnes conditions.

Ce que les Clubs peuvent apporter
Les clubs peuvent y contribuer en mettant en place une organisation impeccable autour des matchs, en attirant des spectateurs (ne serait-ce dans un premier temps que l’entourage du club et de l’école de rugby – ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui), en organisant un évènementiel minimum, en soignant la tenue des joueurs à l’échauffement comme pendant le match et surtout en mettant les medias présents dans les meilleures conditions pour travailler avant, pendant et après la rencontre. Evidemment, il faut aussi éviter de choisir le jour d’une retransmission TV pour organiser une mini "générale" à l’ancienne impliquant joueurs et même spectateurs !

Ce que la Fédération peut apporter
La fédération peut y contribuer en proposant un calendrier du championnat cohérent, dense et rythmé avec le souci des aspects sportifs (préparation, récupération, etc.) mais aussi des demandes des diffuseurs et des annonceurs. Ce championnat "montrable" doit surtout attirer et plaire à un public dépassant les bénévoles du club, la famille, les petites amies et les amoureux des troisièmes mi-temps.

Ce que les joueurs peuvent apporter
Les joueurs peuvent apporter une contribution décisive car cela passe évidemment et surtout par le spectacle montré sur le terrain par des athlètes mieux préparés, bien organisés et aguerris par des rencontres contre des oppositions toujours plus fortes en Belgique mais aussi à l’international. L’apport des premiers jeunes retraités belges de retour au pays après avoir évolué dans les championnats étrangers sera à cet égard très bénéfique. Ils aideront à faire progresser la culture de l’entrainement, le niveau technique, tactique et stratégique et, finalement, seront pour certains d’entre eux des entraîneurs performants. Ils contribueront à rendre le rugby belge plus "montrable".

Ce que l’image de notre sport et l’argent peuvent apporter
Ce qui précède est essentiel pour susciter l’intérêt des médias, attirer des partenaires fiers d’associer leur image à un sport télégénique et spectaculaire et générer des recettes directes autour des matchs de championnat. Un vrai modèle économique pour le rugby des clubs pourrait ainsi émerger en Belgique permettant à nos clubs d’élargir la popularité de notre jeu dans le Royaume mais aussi de rivaliser dans les compétitions européennes de base.

Petite conclusion provisoire…
Il faut donc se retrousser les manches si nous voulons que ça bouge. Mais ce n’est que mon avis et je ne suis probablement pas qualifié sur le sujet. Je suis entraineur et comme aime le dire, mon copain Christian Cornet, « dans un club qui tourne, les joueurs jouent, les entraineurs entraînent, les dirigeant dirigent ». Je suis d’accord donc je me tais.