C’est par un samedi pluvieux que Michel Coric a pris le temps, entre deux rendez-vous ‘rugby’, de dresser un premier bilan de sa présidence mais aussi de faire le point sur l’état de santé de la Fédération. Il a ainsi abordé différents sujets.

Sportkipik.be : Comment se sont passés les 7 premiers mois de votre présidence ?

Michel Coric : « Je ne me rendais pas compte de l’état de déliquescence de la Fédération et des problèmes de communication entre les acteurs majeurs du rugby belge. Je savais qu’il y avait des problèmes de personnes, mais il y a surtout des problèmes structurels qui sont là depuis pas mal d’années, qui n’ont pas été résolus. J’ai donc l’impression d’avoir trouvé une Fédération qui était en situation de mort cérébrale, et que l’on réanime doucement. J’ai donc été surpris par l’ampleur du travail, qui ne se limite pas à de la coordination. J’ai aussi hérité de quelques cadavres, comme l’affaire Laakdal-Charleroi ».

Spkk : Pas de découragement face à l’ampleur de la tâche ?


(Photo Sportkipik.be)

M.C. : « Non, je n’ai jamais perdu espoir. Mais je me suis rendu compte d’une suspicion énorme qui planait et qui plane encore sur la Fédération et sur certains administrateurs, et notamment sur mes motivations aussi. Je continue de dire que mes motivations sont saines, parce que je ne gagne pas d’argent. Je crois que socialement j’avais assez de choses à faire et je n’avais pas besoin de me rajouter une médaille. Même si c’est évidemment toujours gai de participer à une fédération sportive. Mais ce n’est donc pas l’ego qui m’a poussé mais plutôt un appel d’air, une vacuité d’organisation ».

« Maintenant je découvre l’énorme dose de diplomatie qu’il faut avoir. Il faut pouvoir manier le bâton et la main tendue. Et c’est compliqué parce qu’il faut vraiment retravailler sur l’image de la Fédération, en interne par rapport aux membres et aux clubs, mais aussi à l’extérieur où l’image de la Belgique chez Rugby Europe et chez World Rugby est désastreuse. Il y a des sponsors actuels ou qui pourraient arriver qui sont d’abord regardants au niveau d’organisation de la Fédération, à la clarté de la ligne de démarcation entre la Fédération et les Ligues sur les équipes nationales et les différents projets par exemple ».

Spkk : Je pensais au contraire que l’image du rugby belge à l’étranger était bonne…

M.C.  : « Sportivement oui, l’image de la Belgique est positive. Grâce à des coups qu’on a pu faire, grâce à ce que Monsieur McClintock a pu faire avec les Diables Noirs à un moment, avec ce que le rugby à 7 a pu faire dans certains tournois internationaux,… Mais c’était plus lié à des hommes de caractère qu’à une organisation ordonnée qui poussait le rugby. On a eu des exploits, mais on n’est pas dans une culture d’exploits. C’est pourquoi il faut travailler sur les fondations. C’est ce que l’on essaye de faire pour le moment. C’est-à-dire une revue des règlements, des statuts, une relance d’un plan comme le plan Vivaldi, retravailler aux responsabilités exactes de la Fédération et des deux Ligues par rapport aux équipes nationales, aux recherches de sponsors, aux relations internationales ».

« On va également essayer de se lancer sur un plan sportif. On va donc organiser un premier ‘workshop’ avec les représentants de chaque club de D1, les entraîneurs de 7 masculins et féminins, de XV masculins et féminins, les RDO, les membres de la Fédération. Faire ainsi un ‘workshop’ d’une journée pour essayer de voir ce que l’on veut faire en terme de rugby sportif à 3 et 5 ans. En sachant qu’il y a des éléments clés qui vont venir perturber positivement cela. Si la Belgique retourne en division 1A, cela va complètement changer la donne. Mais il nous faut un plan pour éviter des débats sur la position du 7 par exemple. Que ce soit clair pour tout le monde. Une des premières choses pour laquelle je me suis notamment battu, c’est de pouvoir remplacer la Géorgie en Coupe d’Europe des clubs. Je remercie d’ailleurs le Kituro d’y avoir participé et d’avoir porté haut le rugby belge. Ils ont été vaillants. Et de pouvoir aussi avoir le champion de cette année qui participera aux sessions qualificatives l’année prochaine ».

Spkk : Vous pensez au rugby d’élite, mais pas seulement.

M.C.  : « Cette Coupe d’Europe, elle doit par exemple être placée dans une vision du rugby que l’on veut avoir. Un bon joueur du Kituro, qui joue la Coupe d’Europe, la D1, la Coupe, s’il est bon il joue en équipe nationale à XV, avec un peu de chance on va l’appeler aussi à 7, on se retrouve alors sur des cadences de jeu qui touchent au semi-professionnalisme voire au professionnalisme pour certains. Il faut désormais qu’on se rende bien compte de ce que l’on va demander aux joueurs et comment on veut positionner la Belgique et le rugby belge ».

« Après le premier workshop, je pense qu’il faudra demander à tous les autres clubs de participer à un deuxième workshop pour avoir leur point de vue et pour construire quelque chose de plus large. Parce qu’il n’y a pas que le rugby d’élite, il y a aussi un rugby social et sociétal. Je crois beaucoup à l’apport du rugby dans des quartiers défavorisés, avec des jeunes compliqués, à l’apport du rugby dans l’accomplissement de jeunes hommes. C’est un sport exceptionnel, qui demande un courage physique et ce courage amène des relations humaines qui sont généralement hors normes et parfois un peu compliquées à comprendre vu de l’extérieur. Mais je crois que le rugby fait de meilleurs hommes ».

Spkk : Depuis votre entrée en fonctions, la communication semble importante à vos yeux. Vous confirmez ?

M.C. : « J’essaye en effet de communiquer avec les clubs. Pas seulement via Facebook et les réseaux sociaux mais j’essaye de leur envoyer des mails, pour leur expliquer où on en est, ce qu’il se passe, avec mes bons et mes moins bons côtés ».

« Nous sommes toujours dans une vision d’un Conseil d’Administration qui doit travailler. Les administrateurs sont force du changement, sont moteurs du changement. Je suis pour la notion d’administrateurs qui travaillent et pas juste qui distribuent des bons ou mauvais points. Et après, une Fédération doit être transparente, elle doit se structurer sur un professionnalisme. A l’image du Secrétaire Général qui serait rémunéré par la Fédération pour gérer la communication en interne, en externe, comme c’est le cas dans la plupart des pays. Avec une description de l’offre et un appel à candidature ».

« La Fédération doit moins vivre en circuit fermé. Comme elle était un peu dénigrée et qu’il y a des gens qui tournent dans la Fédération et autour depuis des dizaines d’années, il faut un peu ouvrir portes et fenêtres. Il faut amener du sang frais, amener d’autres idées ».

Spkk : Avez-vous un retour positif de la part des clubs suite à cet effort d’une bonne communication ?

M.C.  : « Les clubs se rendent compte que je travaille. Après, je pense que des clubs aimeraient que cela change plus rapidement. Moi aussi. Cette reconstruction de la gestion et de l’image du rugby belge est peut-être aussi plus longue que je l’avais pensé. J’avoue que je vais puiser ma motivation dans les rassemblements d’enfants, dans un match U14 qui ont la banane en jouant sous le déluge. Après, le rôle de président est un rôle ingrat. Il faut venir avec son énergie puis repartir et faire autre chose. Personnellement, je ferais bien mes deux ans de présidence et après cela aller entraîner des gamins en U8/U10 au Kibubu ou à l’ASUB. Je crois qu’il ne faut pas s’attacher au poste. Gérer une asbl sportive, c’est recevoir un témoin, recevoir une organisation dans un état et essayer de la rendre deux ans après dans un meilleur état. Si on a cette optique, de passage, de travail et d’amélioration, on ne s’accroche pas à sa branche. On ne reste pas trop longtemps administrateur ».

Spkk : Pour de nombreux points évoqués, la question financière est importante. L’apport de sponsors ne devient-elle dès lors pas capitale ?


(Photo Sportkipik.be)

M.C. : « Il faut d’abord rétablir l’image de la Fédération pour que les sponsors, qui sont davantage des partenaires voire des mécènes, investissent. Je parlais notamment d’un sponsor banque, qui investit dans à peu près tous les pays du monde où il y a du rugby, qui a toujours été réticent d’investir en Belgique parce que pour eux la Fédération s’apparentait à un panier de crabes. Il faut clarifier le mode de fonctionnement de la Fédération. Mais le rugby est un bon produit. Mais de nouveau, si la Belgique sportivement retourne dans le groupe 1A (ndlr : VI Nations B), ça sera assez simple de trouver des partenaires. Il faut attendre le premier workshop, mais je pense qu’il faudra alors commencer à rétribuer les joueurs et les mettre dans les meilleures conditions possibles afin de pouvoir rivaliser avec des clubs de fédérales ou de ProD2 pour garder des éléments qui préfèrent évoluer dans notre rugby national. L’idéal serait d’avoir un groupe de joueurs sous contrat à la Fédération pour leur proposer quelque chose, une alternative au départ en France ».

Spkk : Et quel est l’état des finances de la FBRB ?

M.C.  : « Au niveau des finances de la Fédération, on devrait terminer l’année 2015 de manière assez saine, sans déficit. On n’est clairement pas dans un processus de faillite. Depuis que je suis là, le trésorier François Van Dessel a fait un travail énorme avec les deux Ligues pour remettre de l’ordre. Il faut savoir aussi qu’on est suivi désormais par un auditeur externe avec qui on est en discussion constante. Donc, en terme financier aussi on essaye de remettre de l’ordre à la Fédération, dans des choses qui n’étaient pas toujours très claires, notamment le défraiement d’arbitres. Pour l’année 2016, cela dépendra fortement d’un apport de partenariats privés ».

Spkk : L’ambiance au sein du CA de la Fédération n’a pas toujours été au beau fixe par le passé. Qu’en est-il aujourd’hui ?

M.C.  : « La structure du Conseil d’Administration fait qu’il y a des membres qui viennent des Ligues, qui ont donc une double casquette. Par contre lors des dernières élections, ceux qui ont été élus l’ont été correctement et travaillent très correctement pour la Fédération et apportent un air frais. Après, dès que l’on parle de sujets compliqués avec les Ligues, c’est toujours un équilibre ténu qu’il faut trouver. Pour un président bénévole comme moi, il faut s’entourer de personnes de bonne volonté et il faut presque être comme un Premier ministre belge, c’est-à-dire asexué linguistiquement et agnostique en terme de club. Avec cet état d’esprit là, on voit les gens sous un autre œil. Francophones ou Néerlandophones, du moment qu’ils ont envie de faire bouger les choses, ça fonctionne très bien. Une figure emblématique du rugby belge comme Kris Van Damme par exemple, à qui d’ailleurs je souhaite un prompt rétablissement, s’est totalement inscrite dans une logique de respect et s’engage à 100% car il a su se mettre au-dessus de la mêlée. Je ne peux pas tous les citer, mais quelqu’un comme Alain Buyens aussi est quelqu’un qui travaille excessivement bien pour le rugby belge, ou encore Claude Aronis également en support au niveau de la gestion des championnats ».

« Après, il y a encore de vieilles habitudes, il y a encore des animosités entre administrateurs. Il y a là encore des mentalités à changer. Cela reste un challenge. Je mets personnellement beaucoup de temps dans la diplomatie. Il y a donc encore par moment des tensions, mais d’après ce que l’on me dit, ça va beaucoup mieux. Il y a de la communication. En tout cas je communique tout, avec tout le monde. Maintenant, à la fin, on verra bien qui a travaillé et qui n’a pas travaillé. Ce que je sais, c’est que je pourrai regarder tous les membres dans les yeux et que j’aurai essayé. Alors j’aurai bien fait ou mal fait, mais j’aurai travaillé ».

Spkk : Pour l’organistion du match Belgique-Pays-Bas du 20 février, la Fédération collabore avec une nouvelle société. Pouvez-vous nous en parler ?

M.C. : « Après avoir discuté avec plusieurs sociétés, on a réussi à trouver un partenaire qui va nous aider sur ce match. Et peut-être à plus long terme. Cette société s’appelle New World. Ce sont des professionnels de l’événement, extérieurs au rugby. Il s’agit notamment des organisateurs de Tomorrowland. Ils nous amènent une vision rafraichissante de marketing. Un site internet a aussi été mis à disposition pour la vente en ligne des places. Toutes les invitations VIP sont aussi parties et c’est devenu un secret de polichinelle mais on devrait avoir quelques politiques présents. Je dois remercier Paul-Henri Burrion pour l’idée qu’il m’avait susurrée il y a quelques mois : j’essaye d’avoir la présence du Roi. Si ce n’est pas le Roi, cela peut être quelqu’un de la famille royale pour marquer le coup ».

Spkk : Quels sont les objectifs de la Fédération ?

M.C. : « J’aimerais pour fin juin que l’on ait une revue complète des règlements. Avec une proposition d’un nouveau Plan Vivaldi, pour espérer amener le rugby belge à un niveau supérieur à tous les niveaux. On a reçu fin janvier pas mal de propositions de clubs, car j’avais fait un appel à proposition. Et quelques-uns sont venus avec des idées concrètes et assez innovantes. Et je crois que ces clubs vont d’ailleurs être intégrés à la réflexion ».

« Il faudrait aussi pour l’été avoir une vision claire et nette du rugby à XV, à 7, féminin, masculin,… Que tous les acteurs du rugby belge aient pu apporter leur petite pierre, à qui en tout cas on aura proposé une agora pour venir de manière constructive. Et que l’on se mette d’accord avec ceux qui connaissent le sport un peu mieux que nous, Nicolas Le Roux, Guillaume Ajac, les RDO et les représentants de clubs de D1 ».