Lettre ouverte de Richard McClintock, entraîneur des Diables Noirs


Mon intention était de m’adresser à nos supporters qu’après le dernier match de l’ENC 2012-2014 contre la Russie mais l’absence d’enjeu de la rencontre de samedi me permet d’avancer le rendez-vous.

Si nous retenons uniquement les chiffres des résultats, il est évident que nous ne pouvons qu’être déçus. Et c’est souvent à cette évidence que la réussite ou l’échec d’un projet, d’un objectif, d’un entraîneur est jugé. Je ne chercherai pas d’échappatoires, c’est une déception sportive dont j’assume la responsabilité sans aucune difficulté.

Dès le départ, nous avions des ambitions. Quoi de plus normal. Car si tu t’engages dans une compétition avec la pensée que tu ne peux pas la gagner, cela ne vaut pas la peine d’y aller. Donc oui, nous avions des ambitions dès le départ, des espoirs en cours de championnat pour finalement terminer 6ème au bout de ce marathon de 2 ans.

Perdre n’est cependant pas le plus important si des rencontres face à plus fort que soi t’ont fait progresser car perdre face à meilleur que soi est dans la normalité des choses. Parfois même, le mérite revient plus au perdant qu’au vainqueur. Il y a le jeu dont on rêve et celui que l’on peut pratiquer. Souvent la réussite emprunte des chemins inattendus où la chance et le hasard le disputent au mérite et au travail sans que l’on sache très bien ce qui prévaut. L’intelligence c’est savoir pourquoi l’on perd, pourquoi l’on gagne. Chercher à comprendre, chercher à savoir, s’améliorer en permanence, ne pas se réfugier en vaines excuses ou faux semblants.

Nous devons faire le bilan de cette aventure tranquillement, sereinement et nous nous y attellerons dans les prochaines semaines. Savoir ce qu’il reste à faire. Comparer ce qui peut être comparé. Mettre en perspective notre réalité et celle de nos adversaires. En ce sens, je puis affirmer que nous avons été de bons élèves, recueillant mine d’informations sur chacun de nos concurrents et décortiquant leur fonctionnement.

Ce Tournoi a mis à jour nombre de nos carences dont certaines ne reposent pas uniquement sur les épaules des sportifs. Nous avons cependant pu mettre en évidence de formidables richesses qui permettent d’entrevoir un avenir radieux. Plus tard, nous dévoilerons, sans fard, notre analyse, notre perception, notre ressenti de cette campagne, d’abord à notre Président et à son Conseil d’Administration mais aussi, plus tard, à l’ensemble du rugby Belge. Nous sommes prêts à nous exposer à la critique mais nous n’accepterons que celle basée uniquement sur la connaissance réelle des faits, des circonstances, des moyens dont nous disposions pour mener cette aventure. Pas celle s’appuyant sur des rumeurs qui sortent de nulle part, des yaka, des fokon ou encore sur des fables de café du commerce qui fleurissent bon sur tel ou tel réseau social.

Mais comme le déclamait si joliment Diderot « Il y a des hommes dont il est glorieux d’être hai ».

Juste, qu’ils ne débordent pas, dans leur soif de reconnaissance, à trop salir les gens. C’est une forme de respect tant pour nous que pour eux que de respecter le travail de chacun d’entre nous. Chacun d’entre eux a sacrifié durement pour mériter le respect de tous.

La vérité, on la trouvera au carrefour de ce que l’on dit et de ce que l’on fait.

Qui dit grande Nation, exige un grand projet commun. Projet qui, bien sûr, évitera de buter sur le premier écueil venu qui se nourrit bien souvent d’intérêts personnels. Il peut de ce fait avoir un risque d’explosion mais nullement d’implosion chez les Diables Noirs, le groupe est sain, riche, solidaire. Une famille.

Le pouvoir n’a de sens que derrière un projet collectif dont les principaux acteurs, il ne faut jamais l’oublier ou le négliger, sont les joueurs, nos garçons.

Notre sport, est d’abord une histoire d’Hommes. Le rugby est ainsi fait que les Hommes et ce qui les anime seront toujours plus importants que tous les systèmes de jeu actuels et à venir. Le rugby n’est pas conçu pour être, ni pour avoir non plus, il est conçu pour devenir. Il en est ainsi de la force de l’entraîneur qui n’existe que par l’adhésion totale de ses joueurs. On peut toujours parler, expliquer le rugby, élaborer les meilleures théories mais notre rôle s’arrête quand les Hommes entrent dans l’arène. Là, ce sont l’envie, l’esprit de sacrifice, la camaraderie qui lient les Hommes. C’est fondamental. C’est alors que le plus important apparaît à nos yeux, tu vois que leur adhésion à ton idée du rugby n’est nullement un accord de façade, ils l’approuvent et leur engagement en est le plus vivant des témoignages. La liberté est une affaire d’esprit.

Mais pour cela, il faut être à même de pouvoir rebondir, plusieurs fois si nécessaire, dans la difficulté. On ne doit donc pas avoir honte des moments éprouvants. Au contraire, ces moments permettent d’analyser, de comprendre, d’avancer. Et d’une certaine manière, si nous sommes ce que nous sommes, c’est parce que la vie est faite de hauts et de bas. La difficulté et les revers nous donnent ainsi cette forme de sagesse qui évite de s’enflammer quand les résultats sont bons, de s’envoyer en l’air quand on baigne dans la « movida » mais aussi de ne pas se laisser enfoncer, de ne pas baisser les bras dans la défaite alors que les hyènes viennent humer l’odeur de la bête blessée. Il y a 10 ans, la meute était beaucoup moins conséquente, le chat était maigre.

L’important est de se sentir en équilibre et de cultiver ce que les autres te reprochent, parce que c’est toi comme l’écrivait Cocteau. Quand on est différent, on ne laisse pas indifférent. On peut nous faire mal, nous critiquer, nous insulter après nous avoir porté aux nues. Si nous décidons de ne pas souffrir, nous ne souffrirons pas. Les gens de parole sont tellement plus intéressants que les paroles des gens. Les critiques qui font avancer sont celles de l’intérieur, point celles de personnes qui ne vivent pas avec nous. Nous savons d’où nous venons et où nous pouvons aller. Et nos adversaires également le savent, eux qui n’ont eu de cesse de vanter notre engagement et notre jeu. Bien plus, que nombre de nos prédécesseurs dans ce championnat, nous méritions de rester dans cette division. Cela aussi, nos adversaires le savaient et l’ont dit.

Je suis un homme libre de mes choix, libre de m’investir et de m’engager ou de me réengager. Peut-être est-ce la raison pour laquelle je n’ai jamais eu à me vendre ou me proposer à un club. Toujours, on m’a sollicité. A chaque fois, je suis toujours allé au terme des missions que l’on m’a confiées, gardant d’excellentes relations avec mes présidents successifs qui, au fil du temps et sans trop m’avancer, sont devenus de réels amis (Marc Alloin pour Villefranche, Pierre André Haffner pour le CASE ou encore Philippe Damas ou Dany Roelands pour la Belgique). A mes yeux cela n’a pas de prix et dépasse la profondeur d’un palmarès dont je ne tiens pas à faire état ici pour ne pas gêner. Tout comme d’ailleurs le respect de la majorité des joueurs que j’ai eu la chance de pouvoir entraîner.

J’ai mes idées, mes convictions et la fonction appelle à prendre des décisions qui, parfois, semblent injuste aux yeux de certains. Mais ce que l’on peut estimer être une certaine intolérance n’est rien d’autre que de l’exigence qui permet de tendre vers l’excellence. Ce n’est pas tant le joueur qui m’intéresse mais bien l’homme qui se cache derrière. Sans grands hommes, il ne peut avoir de grande aventure.

En ce sens, j’ai posé à mon staff, qui m’est fidèle depuis bientôt 10 ans pour plusieurs d’entre eux, mais aussi aux joueurs cadres, la question de savoir s’ils étaient désireux que l’on continue ensemble ou que l’on passe à autre chose. Se remettre en question est aussi important que d’assumer ses principes directeurs. La réponse a été unanime, ils sont partant, la même ardeur les anime tous, comme la motivation qui ne cesse de bruler en moi lorsqu’il s’agit des Diables Noirs. J’ai alors en tête, cette phrase de Donatien Alphonse de Sade, un divin marquis, Le passé m’encourage, le présent m’électrise, je crains peu l’avenir ….

Conforté par leur amitié et leur engagement, je demeure donc toujours aussi enthousiaste à continuer à mener nos Diables Noirs vers d’autres challenges, désormais la responsabilité de la suite appartient à nos dirigeants...