Après avoir notamment évoqué la nécessité de la mise en place d’un projet global ou encore la problématique du financement de la Fédération, Salvatore Zandona a tenu à faire passer un message au rugby belge : sortir de la négativité ! « En Belgique, on a tendance à aller chercher ce qui n’est pas bon, ce qui ne va pas. Au hockey, lors d’une conférence, ils ont notamment dit : on arrête de dire qu’on est un petit pays », souligne le président de Belgium Rugby.

« A une époque, il y a 25-30 ans, je pense qu’on n’était pas loin du niveau auquel on est maintenant, par rapport aux autres. Il faut rappeler qu’on a joué les Fidji, que l’équipe nationale a inauguré le centre d’entraînement de l’Angleterre et a joué contre l’équipe anglaise U23. Ce n’était peut-être pas tous des matchs serrés, mais on était invité. Aujourd’hui, il faut se faire réinviter à la table, revenir dans ce giron-là. Faire partie de cette mouvance et avoir l’opportunité de se frotter à plus gros que nous. Ce que l’on a eu la chance de faire avec les BelSevens, qui ont terminé demi-finalistes à Hong Kong deux années de suite et se retrouvaient donc à 20 minutes des World Series. La marche est petite mais très grande en même temps. Mais faire cela deux années d’affilée, cela ne peut pas être qu’un accident. C’est un travail qui a été fait, parce qu’il y avait des filles qui ont fait des sacrifices incroyables. Et puis il y a une année où cela se passe un peu moins bien et on entend des gens dire ‘tout cela pour ça’. On retombe dans nos travers, dans ce négativisme. En attendant, les BelSevens sont à nouveau qualifiées pour le tournoi qualificatif des World Series ».

La richesse de la formation

Autres forces de notre rugby : le nombre de joueuses licenciées et la formation. « Nos équipes U18 sont en Championship et se maintiennent en permanence en division 1. C’est grâce à tout un mécanisme de formation. Il faut remettre toute cette filière de formation sur le devant de la scène et la redynamiser. C’est l’une des clés si l’on veut continuer à prester. A titre d’exemple, sur 46 joueurs en équipe nationale séniors, 37 sont issus de 13 clubs belges. C’est notre richesse. On a de très bonne génération qui sont organiques. Cela vient de chez nous, ce n’est pas importé », détaille Salvatore Zandona.

L’argent n’est-il dès lors pas le seul élément faisant défaut pour tutoyer le tout haut niveau ? « Si on avait l’argent nécessaire pour pouvoir mettre n’importe quel maillon de la chaîne dans les conditions idéales pour pouvoir s’entraîner et prester, oui bien sûr ».

Compte-tenu justement des budgets limités, retrouver les Diables Noirs en Rugby Europe Championship ou les BelSevens en haut de tableau en Women Grand Prix Series ne constituent-ils pas des ‘miracles sportifs’ chaque fois renouvelés ? « Je me dis aujourd’hui que notre place elle est là. L’anormalité c’est de réaliser ces performances sur base de notre nombre de licenciés, là où par exemple l’Espagne a 40.000 licenciés et disposent in fine d’autres moyens en haut de la pyramide. Et cela dans un pays où il n’y a pas de sport d’état, même si on est bien aidé par les instances publiques. Après, nous avons aussi un travail à faire et aller frapper à la porte de World Rugby et dire ‘on est là’. Même si on rassemble les budgets de la Fédération et des deux ligues ensemble, l’ensemble fois 2, c’est uniquement le budget de l’équipe séniors à XV de la Géorgie… ».

Choyer les femmes

Un autre axe fondamental autour duquel la Fédération belge veut donc s’articuler est le rugby féminin. A l’heure actuelle, la Belgique compte près de 2000 joueuses de rugby affiliées. Ces dernières représentent ainsi 17% du nombre total de licenciés. « On constate que les clubs où des équipes féminines existent se développent plus vite. C’est un facteur de croissance, d’aura dans la région. Il faut d’ailleurs absolument que des femmes rentrent dans les CA des clubs et des entités, pour tout ce qu’elles peuvent apporter ».

« Si on veut que les gens passent plus de temps au club, viennent en famille, fassent venir les amis, fassent venir les enfants des amis et augmentent le nombre de licenciés, ça passe aussi par ce côté chaleureux qui est très proche de nos valeurs. Faire de nos clubs de vrais lieux de vie. Pas forcément des endroits pour spartiates mais des lieux de vie et de partage ».

Les valeurs comme principal atout

Les valeurs. Un autre thème cher au CA actuel de la Fédération. « On a mis les valeurs du rugby comme fil conducteur de notre stratégie parce que c’est quelque chose qui, dans l’inconscient collectif, nous différencie encore des autres sports. C’est notre principal atout. Mais est-ce qu’on les applique quand on est au bord du terrain, quand on est sur le terrain ? Plus suffisamment. Il va falloir travailler sur des projets pour remettre les valeurs au centre du jeu ».

Quelle est la différence entre un joueur de son équipe, de l’autre équipe et un arbitre ? Quand le premier fait une erreur, on dit "ooooh". Quand le second fait une erreur, on dit "youpie". Et quand le troisième fait une erreur, on l’insulte. C’est juste inadmissible. Au haut niveau, cela ne se passe pas. Chez nous, ça doit commencer par les bancs de touche, les joueurs, et être transmis aux supporters.

Qui dit valeurs, dit aussi formation et éducation. « Notre objectif aujourd’hui est de faire grandir une famille du rugby unie. Et de fournir à tout le monde du plaisir. Quel que soit le niveau auquel on est aujourd’hui, quelles que soient les fonctions que l’on a occupées, on est tous venu au rugby, dans un club, pour le plaisir. Et pourquoi est-ce que tout d’un coup, on mettrait cette donne de côté pour la sacrosainte idée de vouloir gagner. C’est Mike Pulham, l’ancien président de Boitsfort, qui disait : ‘il n’est pas intéressant d’être un gros poisson dans un petit aquarium. Il faut d’abord faire en sorte de trouver un grand aquarium’ ».

Objectifs sportifs à long terme ambitieux

Pour agrandir l’aquarium, Belgium Rugby structurer actuellement son mode de fonctionnement sur base d’un projet à long terme, harmonisé avec les deux ligues. La Fédération a en outre clairement établi ses objectifs, ambitieux : la Coupe du Monde 2023 à XV et les Jeux Olympiques 2024 à 7.

« Pour les hommes, cela va dépendre aussi du système de qualification, qui sera connu après la Coupe du Monde au Japon. Mais pour être barragiste dans l’ancien système, on sait qu’il faudrait être 4ème du Rugby Europe Championship (parce que si la Georgie termine à nouveau 3ème de Poule elle est qualifiée d’office pour la RWC suivante, et que la RWC se tiendra en Europe). Etre 4ème pour nous qui sommes 5ème de façon régulière ces 3 dernières années, est-ce atteignable ? Oui je pense que ça l’est. Est-ce que c’est facile ? Non pas du tout ! Mais ce n’est vraiment pas un projet irréaliste”, estime le président national. « Maintenant comme dit plus tôt, sur 46 joueurs en Diables Noirs, on a joué avec 23 qui jouent en France et 23 qui jouent en Belgique. La rotation est très forte, et quand le titulaire n’est pas là, cela fait une différence. Ce qu’il nous manque, c’est la profondeur à niveau, c’est pourquoi nous avions notamment lancé le projet des Belgium Barbarians XV ».

« Pour que les joueurs restent dans le club, peut-être faut-il passer à un moment en semi-pro. Il faut leur proposer quelque chose d’intéressant à jouer, en restant dans le pays, en poursuivant leurs études, peut-être en passant en ‘semi-pro’ et en créant une équipe qui serait une franchise, où l’on commencera à voir dans le pays des joueurs qui seraient défrayés au même niveau qu’ils le sont en partant à l’étranger. Certains pays optent pour un projet commando, avec un objectif qui est la Coupe du Monde. Peut-être que sur une certaine période de temps, il faut passer par là. C’est clairement un changement de mentalité. Est-ce que nous sommes tous prêts ? Pas encore. Sportivement, on est en mesure de le faire. Aujourd’hui, le frein, il n’est plus sportif ».

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